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Lire Genèse 37 après avoir vu le film « Il va pleuvoir sur Conakry »

Méditation au cours du séminaire annuel de Pro-Fil, les 27-28 sept. 2014 à Toulouse

L'histoire de la réception de l'histoire de Joseph est immense tant sur le plan de la littérature, de la musique, de la peinture, de la poésie, et du cinéma …

Pour le cinéma, pensons au film d'animation Joseph le roi des rêves, sorti la même année en 1999, au film du malien Cheik Oumar Sissoko : La Genèse centré sur la figure de Jacob et de Joseph… Sorti quant à lui en 1994, au film de Youssef Chahine L'émigré, inspiré du Joseph biblique et coranique… Pensons encore à la comédie musicale d'Andrew Lloyd Webber Joseph and the amazing technicolor dreamcoat ( 1968) adaptée à deux reprises au cinéma.

Je ne connais pas la comédie musicale mais j'aime ce titre Joseph and the amazing technicolor dreamcoat et à vrai dire c'est à partir de lui que j'ai pensé ce matin m'arrêter sur cet objet mystérieux dont parle le livre de la Genèse, cette tunique que porte Josèphe, et qui devient pour Webber la métaphore même du cinéma.

Le cinéma, avec son étoffe en technicolor ou pas, a la capacité de nous émouvoir en ouvrant les portes de tout un ensemble de questions qui sont à vrai dire les questions qui traversent les différentes étapes de l'aventure humaine jusqu'à aujourd'hui.

Ce qui peut se dire aussi des grands textes originels comme celui de la Genèse dans lequel je vous invite ce matin à entrer.

Dès le début du chapitre 37 qui ouvre l'histoire de Josèphe, nous découvrons une situation familiale extrêmement tendue. Une situation qui s'explique par tout un passif de conflits qui pèse sur les différents personnages.

Nous pouvons penser à la rivalité entre Léa et sa sœur Rachel, la distinction marquée entre les fils de ces dernières, et ceux de leurs servantes respectives Bilha et Zilpa, nous pourrions remonter les générations et relire toutes ces histoires de fratries abîmées par la rivalité et la jalousie, Jacob-Esaü, Isaac-Ismaël, Caïn et Abel.

1 Dans le nom de Joseph il y a une notion de surplus.

Abel qui restera dans la Bible le prototype du frère puisque c'est avec lui qu'apparaît le mot même. Et de façon tout à fait étrange c'est avec lui aussi qu'apparaît le nom de Joseph comme par anticipation, par effet de flashforward pour reprendre un terme cinématographique. En effet, en Genèse 4 l'auteur écrit : Eve ajouta en enfantant son frère, Abel (4,2) or le nom de Joseph dérive de la racine du verbe ajouter1 yasaph. Autrement dit, le frère sera toujours un « ajouté » avec lequel il faut exister. C'est le défi de la fraternité à laquelle ne parviendra pas Caïn. C'est le défi de la fraternité qui trouvera dans l'histoire de Joseph un dénouement fécond parce que ce dernier par la force du pardon a été en mesure de briser le cycle de la violence, d'interrompre le maléfice de la répétition du mal. Joseph c'est la figure de celui qui se refuse de répondre au mensonge par le mensonge, de répondre à la violence par la violence, de donner au mal l'occasion de proliférer.

Mais au début de notre chapitre nous sommes très loin de ce dénouement, à l'inverse du film d'hier avec sa progression dramatique très lente, l'histoire de Joseph est dès le commencement empoignée par le mal pour ensuite progresser lentement vers la réparation de ce mal.

Or Israël aimait Joseph plus que tous ses fils car il était un fils de vieillesse pour lui, et il faisait pour lui une tunique d'apparat.

Jacob est appelé Israël (Gn 32) ce qui renvoie à la bénédiction obtenue au Yabboq, bénédiction qui se concrétise ici dans un vêtement symbolique, un vêtement mystérieux que seul Josèphe est appelé à porter. L'expression kétônet passiym (ou hapassiym) en hébreu est très rare et son sens en hébreu difficile. Henri Meschonnic le poète toulousain traduit l'expression par « un habit à longues manches », la Bible du Rabbinat par « une robe qui descend jusqu'aux talons », pour la LXX il s'agit d'un vêtement « de différentes couleurs », poikilos.

Le Dict. Sander Trenel (p.584) propose soit une robe de plusieurs couleurs soit une robe traînante qui va jusqu'aux extrémités, jusqu'aux pieds et aux mains, ce qui rappelle alors la tunique du prêtre (de pâs extrémité Dn 5,5).

L'expression n'est pas un hapax, on la retrouvera encore en 2 Samuel 13, 18-19 où Tamar la fille de David porte ce kétônet passiym « c'est ainsi que s'habillaient les filles du roi quand elles étaient vierges ». Tamar porte la tunique avant qu'Amnon son demi frère ne la viole. Histoire terrible qui ouvre le cycle de la vengeance et du meurtre. Histoire qui fait écho au récit de Joseph. Tamar déchire sa tunique. Jacob déchirera ses vêtements devant la tunique déchiquetée et roulée dans le sang.

Mais nous n'en sommes pas là et si pour nous le sens de ketônet passiym n'est pas clair ce qui l'est en revanche, c'est l'effet dévastateur de la tunique sur les frères de Joseph. Car sur cet objet qui manifeste la préférence de Jacob et donc leur rejet, les frères vont en quelque sorte cristalliser tous leurs ressentiments. La préférence de Jacob désormais étalé au grand jour, les rêves de Joseph qui ne font qu'aiguiser leur haine, explique le départ des frères vers Sichem. Tout comme Caïn incapable de parler à son frère, tout comme Absalom le frère de la belle Tamar qui a couvé sa vengeance durant deux années sans dire un mot, les frères de Joseph ne peuvent plus parler de lui en paix et en vue de la paix.

2 Signifie épaule, dos. Symboliquement le lieu où l'on tourne le dos à Dieu.

Sichem. Le nom de la ville est mentionné à trois reprises comme pour alerter le lecteur. Joseph sera envoyé à Sichem, pas n'importe où, à Sichem. L'auteur insiste encore « à Sichem ». Sichem 2 flash back. La ville située à 80 kms au nord d'Hébron est celle où Siméon et Lévi ont provoqué un massacre pour venger l'honneur de Dina, leur sœur. Sichem le lieu de la haine et de la violence où selon les paroles mêmes de Jacob, ses fils ont fait son malheur (34, 25-29).

Alors pourquoi y envoyer le fils bien aimé auprès de ceux qui le haïssent ? Pour faire revenir une parole nous dit le texte. Non pas faire revenir des rumeurs mauvaises comme au début du récit mais une parole de shalom.

Va vers tes frères, Vas et vois le shalom de tes frères et le shalom du troupeau pour que tu me fasses revenir une parole »

Ce double « va » doit s'entendre comme une parole de vocation. Il s'agit de quitter le père, s'éloigner, et faire revenir une parole là où elle est devenue impossible. Mais avant même de connaître les détails de sa mission Joseph répond à son père par un seul mot : « Me voici » hineni (Gn 37,13 avec l'atnah renforcement).

Nous pensons alors à Abraham qui a été le premier à forger ce mot. (Gn 12, Gn22…). Il s'agit là de l'affirmation d'une disponibilité totale et inconditionnelle. « Cette disponibilité est possible que lorsque l'homme parvient à un degré d'effacement, d'humilité…» écrit le philosophe Benjamin Gross.

Certains voient en Joseph un gamin arrogant ou irresponsable. Joseph n'est rien de cela, il est celui qui répond à l'appel parce qu'il se sait porteur d'une grâce, d'une visée ou d'une vision divine qui déborde sa propre personne. Et lorsque l'homme anonyme lui pose la question : « Que cherches-tu ? » Joseph répond : « mes frères, moi je cherche ».

Pour la première fois dans le récit, Joseph parle en « moi » et se pose en tant que sujet et son désir propre, son désir profond est un désir de fraternité.

Rapporte-moi où ils sont en train de paître ?

L'homme indique un chemin : Dôtan à 20 kms de Sichem (Dôtan, les rabbins donnent à ce nom la signification de piège). Joseph va encore plus loin vers le nord littéralement en hébreu vers l'obscur, vers le mal qui se terre, se cache (tsafôn).

Et ils le virent de loin et avant qu'il s'approche d'eux, ils intriguèrent contre lui pour le faire mourir. Et ils dirent chacun à son frère : Voici le maître des rêves, c'est celui qui vient ! Et maintenant, allons, tuons le et jetons le dans un des trous et nous dirons une bête mauvaise l'a mangé et nous verrons ce que seront ses rêves…»

Les frères reconnaissent Joseph par la tunique d'apparat, ils le voient venir de loin, reconnaissable entre tous avec ce vêtement de lumière. Allons tuons le et jetons son cadavre dans un trou qui servira de tombeau et nous dirons une bête mauvaise l'a mangé… Une bête mauvaise qui exprime en vérité ce mal qui dévore les frères et les pousse à l'exception de Ruben à tuer Joseph.

C'est alors, geste éminemment symbolique que Joseph se voit dépouillé de sa tunique… La tunique qui sera roulée dans le sang d'un bouc et présenté à Jacob afin de faire souffrir le père par l'objet par lequel lui-même a fait souffrir ses fils.

Le narrateur ne parle pas vraiment d'un bouc mais d'un « bouc de caprins », or cette expression Seïr izzim (qu'on ne retrouve qu'une seule fois dans le livre de la Genèse) désigne l'animal immolé dans le sacrifice de réconciliation à Yom Kippour où le grand prêtre revêtu d'une tunique sacrée entre dans le sanctuaire avec deux boucs dont l'un sera sacrifié, l'autre envoyé au désert à Azazel. (Lev 16,4-5).

Joseph vendu pour quelques pièces d'argent comme esclave, expulsé loin des siens, n'est pas sans rappeler le bouc chassé vers Azazel que l'on conçoit dans la tradition juive comme une vallée désertique ou une puissance mauvaise. Nous voyons comment le mécanisme victimaire se met en place. Dans l'histoire de Joseph comme celle d'hier, un groupe se rassemble contre un seul de ses membres pour l'expulser violemment, il s'agit toujours de se débarrasser de celui qui est en trop.

Laissons alors la caravane des Madianites descendre lentement vers l'Egypte, « sortir du champ ».

L'histoire, nous le savons, se poursuit, Joseph serviteur de Pôtiphar, dépouillé à nouveau de son vêtement, accusé de viol, jeté en prison, sera revêtu finalement par pharaon d'un habit princier. C'est alors que Joseph permettra à la vie de triompher de la mort en réunissant les siens autour de lui. Cela ne se fera pas sans l'aide de Dieu dont l'action souvent cachée consiste à transformer le mal en un creuset pour la vie.

Ce que Joseph confessera à deux reprises Ne vous affligez pas et ne vous en voulez pas de m'avoir vendu car en vérité c'est Dieu qui m'y a envoyé avant vous pour la préservation de la vie (…) vous avez voulu me faire du mal, mais Dieu a voulu en faire du bien (Gn 45, 5 / 50,20).

Pour les auteurs du Nouveau testament, les premiers chrétiens, les pères de l'Eglise, les réformateurs… Joseph de tous les patriarches et prophètes exprime avec le plus de clarté la figure du Christ, la « vive effigie du Christ » disait Calvin.

Le Christ, fils bien aimé, envoyé dans une humanité malade de ses péchés, malade de sa propre violence, pour y faire revenir une parole de shalôm.

Le Christ notre frère, qui a revêtu la tunique de notre humanité disent les pères, pour faire prévaloir une espérance de paix sur la volonté de puissance qui conduit les hommes à s'entretuer…

Le Christ, l'innocent plongé dans la fosse par la violence et le mensonge des autres, qui a librement refusé de faire violence ou de mentir à son tour, devenant chemin de salut y compris pour ceux qui ont succombé à la violence.

Il était essentiel que Bibi ne tue pas son père. Même si les femmes dans le cinéma à Conakry criaient « Tue le » « Tue le ». « A quoi cela lui servirait ? » a dit cette autre femme à Cheick Fantamady Camara.

A quoi cela lui servirait si ce n'est à faire proliférer le mal… Bibi n'a pas tué son père. Il jette le couteau… Loin des fétiches et des dieux qui font tomber la pluie, Bibi et Kesso, acceptant le renouvellement de la vie, découvriront que le bien malgré le mal qui nous encercle a la force de le traverser.

Jean-Pierre Nizet

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