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© Pro-Fil

Ronald Zehrfeld

Né le 15 juillet 1977 à Berlin

Extrait de sa filmographie

Prix

Entretien avec Ronald Zehrfeld

dans le cadre de la manifestation Face to Face with German Films lors du Festival de Cannes 2017

par Waltraud Verlaguet

Réalisation : Catherine Verlaguet

Sous la vidéo : la traduction de l'intégralité de la transcription de l'entretien.

De larges extraits sont intégrés, ensemble avec ceux des entretiens avec Louis Hofmann, Volker Bruch et Alexander Fehling, dans une vidéo soustitrée.

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Waltraud Verlaguet : Bonjour et merci beaucoup d’être avec nous ce matin, j’en suis vraiment ravie.

Comment avez-vous vécu la chute du mur ?

Ronald Zehrfeld : Oh, j’avais 11-12 ans, j’étais à l’école de sport, on était à l’entrainement et ce jour-là on n’était que trois et on s’est rendu compte que tous les autres étaient partis plus tôt pour se rendre à l’Ouest pour voir. Mais il faut dire que pendant les semaines et les mois qui ont précédé ça avait déjà commencé, même avant 89, je voyais que mes parents et leurs amis discutaient beaucoup tous les soirs ; on regardait les deux journaux télévisés, celui de l’Est  et celui de l’Ouest, la Aktuelle Kamera et la Tagesschau, et on se rendait bien compte que quelque chose était en train de se passer. Puis certains membres de la famille disparaissaient et on apprenait plus tard, après la chute du mur, qu’ils avaient quitté le pays via la Hongrie. C’était une époque fascinante, on se demandait ce qui allait arriver. Il y avait des visages pleins de crainte, va-t-il arriver un malheur ? y aura-t-il une issue ? une décision ? A l’époque on croyait qu’il y aurait un changement de gouvernement, un régime nouveau. Personne ne se doutait que ça allait s’emballer de la sorte. Aujourd’hui on peut se féliciter que tout se soit passé sans bain de sang, mais à l’époque je regardais bien à droite et à gauche pour savoir comment allaient mes parents, de quoi ils parlaient - je ne les avais jamais vus si tendus.

WV : Et vous deviez arrêter le judo. Ce n’était sûrement pas si simple pour vous.

RZ : Non, c’est sûr. C’était mon grand rêve. J’adorais le judo. Et puis tout le système s’est effondré. Pour la RDA le sport était un instrument de politique étrangère pour attirer l’attention sur le plan international, et c’est donc l’Etat qui finançait le sport. Donc ma carrière semblait tracée, je devais aller au championnat junior européen, voire plus loin. Il y avait une sélection, ça commençait dès la maternelle, ils venaient repérer les enfants en disant « bon, toi tu es une petite maigre, toi un costaud, toi tu pourrais devenir gymnaste et toi judoka » etc. Moi j’aimais ça – et puis tout mon petit monde s’est effondré. Pendant la période de changement, tant qu’il y avait la RDA, il y avait la « table ronde » où on discutait des nouvelles réformes dans le cadre de « l’Alliance 90 », jusqu’en 90 personne ne savait vraiment ce qui allait se passer, si les verts arriveraient dans le parlement avec l’Alliance 90 ou quelque chose comme ça.

Mais tout s’est passé tellement vite et la réunification est arrivée. Il y a certains films et faits à regarder de près, Elf Aquitaine, les affaires de la Treuhand etc, où je me dis aujourd’hui que ça s’est passé comme sur des roulettes. C’était passionnant, mais la chose importante était que les gens ont gagné leur liberté et que ce qui était en jeu c’étaient les valeurs que nous aimons aujourd’hui mettre en avant : liberté de la presse, liberté d’opinion, liberté de voyager, et que, en tant qu’individu, on ait la possibilité de se développer librement. C’était ça le drame de la RDA, qu’on ait enfermé les gens dans leur territoire. Et après on a eu la chance de faire quelque chose de sa vie sans qu’on vous mette des bâtons dans les roues, on a pu voyager et découvrir le monde, d’autres cultures, d’autres nations ; c’était ça la grande chance de la chute du mur, c’est en tout cas comme ça que je l’ai vécue.

WV : Est-ce qu’après la réunification il y a eu un genre de « rééducation » comme ça a pu exister en Allemagne de l’Ouest après la chute du nazisme ?

RZ : Rééducation ? En ce qui concerne les contenus ?

WV : A l’école…

RZ : Rééducation n’est peut-être pas le mot juste. Mais on était très intéressé par la politique et donc on explorait les différences entre les deux systèmes. Déjà du temps de la RDA il y avait un genre de cynisme du quotidien qui voulait qu’en éducation civique il fallait répéter ce que le professeur, et donc l’Etat, voulait entendre, mais dans les coulisses il y avait un autre discours. On comprenait très bien quand ils avaient un peu trop appuyé sur l’émotionnel ou donné dans l’ultra-rouge – alors que la réalité était bien différente. On rigolait devant les informations du soir qui nous racontaient que telle entreprise avait rempli son plan annuel, alors que tout le monde savait que le Mark de l’Est était bien trop faible et que le système économique était en train de s’effondrer. S’il n’y avait pas eu Franz-Josef Strauss et  Schalck-Golodkowski ce serait sans doute arrivé bien plus tôt, mais grâce à Mitterand et Kohl s’est passé quelque chose… Peut-être apprendra-t-on un jour ce qui s’est passé en coulisses, en tout cas nous pouvons maintenant nous retrouver ici assis ensemble, et moi je peux venir à Cannes.

WV : Et comment l’héritage nazi a été traité avant et après la chute du mur ?

RZ : Eh bien, avant, c’était difficile avec l’héritage nazi. Je pense que les deux côtés ne se sont pas fait de cadeau - c’est dans la nature des choses. Certains films, comme Génération War (Unsere Mütter, unsere Väter,Philipp Kadelbach 2013)  ou Fritz Bauer, un héros allemand (Der Staat gegen Fritz Bauer, Lars Kraume, 2016) puissent s’attaquer à ces problématiques aujourd’hui, des décennies plus tard. Mes grands-parents ont mis très longtemps pour pouvoir en parler, ils ont pu raconter des choses quasiment sur leur lit de mort ; c’était une règle tacite pour cette génération de la guerre et d’après-guerre qu’ils ne voulaient pas en parler. En ce qui concerne l’Allemagne de l’Ouest je pense que les gens étaient plus conscients, on savait que la peste brune était là, on ne pouvait tout de même pas faire disparaître tous les gens impliqués même si on savait quelles avaient été leurs activités avant ; mais grâce à Fritz Bauer par exemple et les procès d’Auschwitz, un certains nombre a pu être poursuivi. A l’Est on a davantage gonflé toute cette affaire toujours dans la perspective « nous sommes tous propres, les nazis sont tous à l’Ouest ». Mais quand on regardait de plus près, les personnes n’avaient pas changé, on a juste fait un lavage de cerveau… Dans ce domaine l’Allemagne doit rattraper le retard, mais c’est peut-être aussi une question de génération. Nous aujourd’hui nous en parlons de façon décontractée, on est conscient de la gravité, mais on peut en parler. Je pense avec frayeur au temps de mes études, quand il y avait des rencontres théâtrales en France ou en Espagne, ils chantaient avec fierté leur hymne nationale, alors que nous, on ne pouvait pas. Je n’ai jamais trop compris pourquoi c’était comme ça et pourquoi nous devions toujours nous cacher en quelque sorte. Il fallait une coupe du monde de football pour que les gens osent à nouveau mettre des drapeaux et qu’ils se saluent. Les Allemands sont d’habitude quand même un peu bornés et renfermés. C’est pourquoi nous nous réjouissons de l’Europe, en espérant que les influences de la France et de l’Espagne nous aident à nous libérer un peu.

WV : Vous avez fait des études de politique et d’allemand, n’est-ce pas ?

RZ : Oui, avant les études de théâtre.

WV : Quels étaient vos auteurs préférés et vos modèles en politique ?

RZ : Comme hommes politiques j’aimais beaucoup Helmut Schmidt et Willy Brandt. Je me suis intéressé à la politique en Allemagne de l’Ouest, à l’Est où j’ai grandi ce n’était pas possible ; ce qui m’a beaucoup intéressé à l’époque c’était l’affaire Dutschke. Je voulais comprendre pourquoi Schmidt avait laissé passer la chance de rester en contact avec la jeunesse. Après les attentats de 1972, à Munich, puis la première et deuxième génération de la RAF où on a dit, qu’on ne voulait pas discuter avec des terroristes, je pense qu’on a gâché une chance en politique intérieure de garder le contact avec cette jeunesse. J’adorais regarder les discussions et tables rondes de cette époque où tous les participants écoutaient attentivement ce que l’autre avait à dire, c’était fantastique, alors qu’aujourd’hui nous avons des animateurs de télé professionnels qui s’auto-congratulent entre eux et qui invitent quelques personnalités, mais on voit vite que personne n’écoute l’autre. L’animateur ou l’animatrice se permet d’interrompre les invités à sa guise - et alors je pense aux discussions d’antan et me dis que c’est dommage : on a mis un grand coup de poing là-dessus, et je me demande pourquoi Schmidt a géré ça de la sorte ; pourquoi a-t-on eu tant besoin de détourner le regard de la ‘sauce brune’. Et quand on devait préparer des exposés on s’est rendu compte que « ah, les négociations d’armement avec Israël c’était comme ça ; et la ‘sauce brune’ au parlement c’était comme ci ; et ça c’était l’histoire de … » et alors on s’est rendu compte qu’il fallait apprendre encore pas mal de choses pour y voir clair.

WV : Puis vous avez commencé le théâtre, vous refusiez d’abord le cinéma.

RZ : C’est exact.

WV : Comment Dominik Graf a pu vous convaincre ?

RZ : Oui, je voulais me consacrer au théâtre et j’avais un super-rôle dans Les Justes de Camus à Graz, c’était une très belle mise en scène, et là j’ai connu une femme qui travaillait dans une agence, et elle a réussi à m’inspirer confiance ; j’ai pu lui poser des questions sur ce que c’est que le casting, que fait un agent ; lui faire entendre que le cinéma me semblait suspect, que ça allait trop vite pour moi et que j’avais besoin de la scène… Puis j’avais un enregistrement vidéo, de juste une minute, où je disais « Bonjour, je m’appelle Ronald Zehrfeld, j’ai fait des études de théâtre et le cinéma est nouveau pour moi et me semble quelque peu suspect. » Et c’est ça que Dominik Graf a vu et il m’a invité et nous sommes devenus très vite très proches, il a absorbé ma biographie et moi la sienne, car je dois avouer que je ne le connaissais pas auparavant. Je ne sais pas si c’était dû au fait que je venais de l’ex-RDA, mais quand j’ai vu tout ce qu’il avait déjà tourné à cette époque je me suis dit « oh, il y a quelque chose là. » C’est devenu une belle amitié.

WV : Et aujourd’hui, vous préférez le cinéma ou le théâtre ?

RZ : Je dois avouer que le théâtre me manque. Mais on ne peut pas comparer. C’est une question qu’on pose souvent, mais c’est comme thé et café : parfois j’ai envie le matin d’un thé noir, d’autres fois plutôt d’un expresso. C’est comme ça que je vois la question entre théâtre et cinéma. Mais le théâtre me manque parce que jouer avec le quatrième personnage, qui est le public, c’est live, ça se passe ici et maintenant. J’ai écrit mon mémoire de fin d’étude sur la mise en scène de Zadig par l’Ensemble de Berlin. Il y avait des soirées très différentes. Parfois ils jouaient correctement, sans plus, et on pouvait penser qu’une troupe d’amateurs aurait peut-être pu le faire. Mais il y avait des soirées où la troupe a joué différemment, vraiment ensemble. Et puis il y avait des moments merveilleux pour lesquels j’aime le théâtre, où quelque chose se passe, où les situations jouées deviennent quasi-réelles. Cela arrive quand les comédiens regardent à droite et à gauche au lieu de mettre en avant leur propre ego, c’est alors que naissent ces moments magiques pour lesquels j’adore le théâtre. On ne peut pas les construire ni acheter, c’est simplement là ou pas. Si ce n’est pas là je plains les spectateurs, mais quand c’est là et qu’on a la chance de se trouver dans une telle représentation, voire d’y participer, c’est la plus belle chose qui puisse arriver, c’est pour ça que j’aime mon métier. Cela m’arrive malheureusement trop peu souvent, mais ça vaut le coup de se battre pour ça.

WV : Après Barbara, on vous a posé la question de la ratatouille, et vous avez répondu « chez nous ça s’appelait ‘bunter Teller’ (assiette de couleur). » Est-ce qu’il y a encore des différences de locution de la sorte, des choses qui se disent différemment.

RZ : Oui, même si ça fait maintenant 30 ans, par exemple Führerschein vs Fahrerlaubnis (Permis de conduire), à l’Est on disait Fahrerlaubnis ; ou Supermarkt vs Kaufhalle (supermarché), ou ‘Goldbräuner’ pour poulet rôti, ‘Nicki’ pour t-shirt – il y a plein d’exemples où on reconnaît tout de suite :  « ah oui, vous venez de… »

WV : J’aimerais bien savoir comment s’est passée la collaboration avec Feo Aladag pour Entre deux mondes. Je m’imagine que ce n’était pas facile de tourner en Afghanistan, notamment pour une femme, même si elle a dit que ça n’a pas posé de problème pour son travail là-bas.

RZ : Ce n’était en effet pas facile. Je suis très heureux d’avoir pu vivre cette expérience et que nous nous soyons attaqués à ce thème. A l’époque j’en connaissais peut-être 1%, grâce au film ce sont peut-être aujourd’hui 2%. Et ce que j’en sais est assez terrible, j’ai pu comprendre le contexte un peu mieux, notamment qu’il ne s’agit que rarement de stabiliser le pays et de créer des conditions pour la paix, mais que c’est surtout une immense affaire d’argent. Il y a des entreprises gigantesques, que ce soient les Français qui testent leurs Mirages en Libye ou les Allemands leurs hélicopters ‘Tigres’ en Afghanistan – où commence-t-on, où s’arrête-t-on ? Allemagne veut avoir un siège au Conseil permanent de sécurité, nous avons une responsabilité historique, mais en même temps les responsables pensent qu’il faut garder la machine militaire en état de marche. Et puis ce qui est intéressant, c’est leur tactique « à la salami » : comment on peut vendre tout ça tranche par tranche à la société ? En Allemagne, sur le plan de la politique intérieure, il y en a plusieurs qui se sont cassé les dents sur ces affaires. Que ce soient Köhler ou Gutenberg, ou encore Margot Kässman lors de son discours de la Saint-Sylvestre : rien n’est bon en Afghanistan ; Schröder était bien, il a dit « pas de troupes » - à l’époque un chèque suffisait. On n’est pas allé en Irak, mais en Afghanistan oui, et c’est devenu une « mission pour la paix et la stabilisation » ; et Schröder a tellement bien vendu l’affaire qu’en Allemagne personne n’a su vraiment ce qui s’y passait. Jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il y avait des soldats au combat là-bas et qu’on entendait pour la première fois des mots comme « mort au combat », « combattre » ; alors on a commencé à écouter et à prêter attention, et ça a déclenché bien des débats. Ce qui était extraordinaire c’est que Feo a réussi à traduire cet épisode difficile dans un film, tourné sur place en Afghanistan. Donc merci à Feo, et aussi à Frank-Walter Steinmeier qui ont rendu ce projet possible. Et je reçois encore aujourd’hui des lettres de la population civile et de soldats qui y effectuent réellement leur service. Ils disent que d’un côté ils comprennent pourquoi en Allemagne personne ne comprend ce qu’ils font en Afghanistan, de l’autre côté ils sont heureux qu’il y ait ce film qui montre ce qu’ils y vivent. En ce qui concerne le contenu, pourquoi et comment la politique se joue là, c’est une autre question. Mais j’ai appris à aimer ce pays, je sais que ce n’est de loin pas si horrible que ce qu’on veut nous montrer ici. L’Afghanistan est un des plus beaux pays qui soit, c’était un pays pour globetrotters, et si la situation y était un peu plus sûre, j’y partirais tout de suite avec un sac à dos pour l’explorer ; je suis reconnaissante pour l’expérience qui m'a fait comprendre que la peur crée bien d’obstacles, mais si on fait la connaissance des gens sur place, ça change tout – l’Afghanistan est un pays avec une population très jeune qui a soif d'avoir des contacts avec le monde, y compris sur Twitter et Facebook. Je leur souhaite très fort des temps plus sereins. Les Afghans disent « vous avez les montres, nous avons le temps », mais bon, les Anglais étaient là, les Russes étaient là, maintenant il y a les Américains, et ils partirons – ils veulent enfin avoir la paix. Mais sur le plan géopolitique cela implique tellement de pays qu’on sait finalement trop peu de choses de ce global game. Il faut voir. Mais tant qu’il y a des films comme celui-ci qui incitent à penser différemment, un petit pas est fait.

WV : Parfait, je crois que nous devons terminer, je vous remercie vraiment pour cet entretien.

RZ : Je vous remercie également.


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