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Andreas Dresen, source: Wikipedia"
Extraits de sa filmographie :
(CM= court-métrage ; D= documentaire ; Filmographie complète avec le détails de tous les très nombreux prix obtenus sur le site de la DEFA)
1979 Unser tägliches Brot (CM)
1985 Der kleine Clown (CM)
1987 Schritte des anderen (CM)
1988 Was jeder muss... (CM)
1988 Nachts schlafen die Ratten (CM)
1989 Jenseits von Klein Wanzlebe (D)
1989 Zimbabwe – Dreams of the Future
1990 Zug in die Ferne (CM)
1991 Es bleibt alles ganz anders (D)
1991 So schnell geht es nach Istanbul (CM)
1911 Die Narren sterben nicht aus (D)
1992 Stilles Land
1993 Krauses Kneipe (D)
1994 Kuckuckskinder (D)
1994 Das andere Leben des Herrn Kreins (TV)
1995 Heimatgeschichten - Sprung ins Glück (TV)
1999 Nachtgestalten
2001 Die Polizistin
2002 Halbe Treppe
2004 Herr Wichmann von der CDU (D)
2005 Willenbrock
2006 Sommer vorm Balkon
2008 Wolke 9 (Septième Ciel)
2009 Whisky mit Wodka
2011 Halt auf freier Strecke (Pour lui)
2012 Herr Wichmann aus der dritten Reihe (D)
Théâtre :
1996 Urfaust – Cottbus
1999 Herr Puntila und sein Knecht Matti – Cottbus
2001 Akte Böhm – Leipzig
2002 Zeugenstand – Deutsches Theater Berlin
2006 Don Giovanni – Bâle
2006 Kasimir und Karoline - Deutsches Theater Berlin
2011 Le Nozze di Figaro – Potsdam
Notes :
1 Hans-Dieter Schütt,
Andreas Dresen. Glücks Spiel, Berlin : be.bra Verlag 2013.
4 Spur der Steine de Frank Beyer (1966), produit par le groupe artistique ‘Heinrich Greif’ des studios DEFA, d’après le roman éponyme de Erik Neutsch.
5 De Heiner Carow, 1973, un des plus grand succès des films de l’ex-RDA.
6 Solo Sunny de Konrad Wolf et Wolfgang Kohlhaase, produit par le groupe ‘Babelsberg’ de la DEFA en 1980.
Andreas Dresen
Rencontre pendant la Berlinale 2014
Introduction
Andreas Dresen fait partie des grands. Malgré le fait que son œuvre soit encore un peu confidentielle en France (deux de ses films ont pourtant obtenu un beau succès dans la section ‘Un Certain Regard’ de Cannes : Septième Ciel / Wolke Neun en 2008 et Pour lui / Halt auf freier Strecke en 2012), gageons qu’elle s’inscrira dans l’histoire du cinéma comme représentant majeur à la fois singulier et particulièrement pertinent d’une époque charnière.
Cela pour plusieurs raisons qui s’articulent entre elles autour de la question du lien entre l’émergence d’un talent et le contexte particulier dans lequel cette émergence a lieu. Ce lien d’ailleurs est inscrit dans le sous-titre d’un livre d’entretiens : Glücks Spiel1. Voilà ce qui est déjà typique pour Andreas Dresen : il attribue à la chance ce qu’il pourrait aussi bien considérer comme son mérite. Il dit être arrivé au bon moment : au moment de la chute du mur, il était en fin d’étude (cf. sa biographie). D’un côté, l’Ouest regardait avec curiosité les réalisateurs de l’Est, mais ceux qui étaient déjà au milieu de leur carrière étaient en même temps globalement suspects de collaboration avec le régime déchu. Alors qu’Andreas Dresen alliait origine de l’Est et virginité professionnelle. Une aubaine.
Notes biographiques :
Né en 1963 à Gera comme fils de la comédienne Barbara Dresen et du metteur en scène Adolf Dresen. Le père quitte la famille quand Andreas est encore enfant, pour s’installer à l’Ouest. Andreas grandit auprès de sa mère. Il va à l’école à Schwerin. Depuis 1979 il produit des films-amateur. Après le baccalauréat en 1982 il passe deux ans à l’armée, puis devient technicien du son au théâtre de Schwerin. Il obtient un stage à la DEFA* et travaille comme assistant du réalisateur Günter Reisch. En 1986 il intègre l’école de cinéma ‘Konrad Wolf’ à Potsdam-Babelsberg. En 1990 il est ‘maître-disciple’ de Günter Reisch à l’Académie des Arts de Berlin. Depuis 1992 il travaille comme réalisateur et metteur en scène, il est membre de l’Académie des Arts, de l’Académie Européenne du Film et membre fondateur de l’Académie Allemande du Film. Depuis 2012 il est membre du Conseil constitutionnel du Land de Berlin-Brandenburg en tant que non-juriste et président de la fondation DEFA.
* DEFA: Deutsche Film-Aktiengesellschaft.
Aujourd’hui, alors qu’il est connu et reconnu internationalement, il reste d’une simplicité confondante, sans prétention, et pourtant si profond. Il refuse par exemple de mettre dans le générique à la fin de ses films : « un film d’Andreas Dresen ». Il se contente d’un simple « réalisation : Andreas Dresen », suivi de tous les autres participants, considérant qu’un film est une collaboration de tout un ensemble. Et tout au long du tournage il veille à ce que toute l’équipe se sente bien.
C’est avec cette même modestie généreuse qu’il aborde ses sujets, qu’il met en scène avec une tendre justesse. H.D. Schütt dit de lui :
« Il sanctifie les choses par son courage de se comporter de façon normale, dans tout ce qui se passe devant et derrière la caméra. » 2
Andreas Dresen s’intéresse tout particulièrement aux ‘petites gens’, à leur vie quotidienne avec ses soucis et ses problèmes. D’ailleurs il affirme que ce qui rend la vie belle, c’est « le quotidien. Simplement le quotidien. » Et encore : Ce qu’il faut pour faire un bon film, c’est « une honnêteté absolue envers les gens »3.
Cette honnêteté transparaît par exemple à chaque image du documentaire Herr Wichmann aus der dritten Reihe (Monsieur Wichmann du 3e rang), présenté à la Berlinale en 2012. Le film suit l’activité de Henryk Wichmann, membre de la CDU, engagé dans la politique locale d’un district de la région de Berlin. Ce travail est d’autant plus remarquable qu’Andreas Dresen lui-même n’est pas de droite, mais qu’il montre ce candidat, devenu depuis député au parlement régional, avec une telle sympathie qu’il dit lui-même qu’il pourrait voter pour lui.
Dans ses fictions également, ce qui marque le plus ses films, c’est une attention délicieuse aux personnages, marquée d’une grande empathie, et un amour indéfectible du détail – oui, on pourrait dire qu’il filme de façon amoureuse, même les sujets les plus durs, comme Pour lui, le film dont il dit lui-même qu’il le touche au plus près dans ses propres abîmes.
Sa vie
(Ce chapitre cite largement le livre Andreas Dresen. Glücks Spiel ; chaque fois, les pages correspondantes sont alors indiquées entre parenthèses.)
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Andreas Dresen a commencé tôt à s’intéresser à la représentation de récits. Enfant, il invente des histoires pour son théâtre de marionnettes. Sa mère l’amène souvent au théâtre, son père lui sert de mentor de loin. Il raconte que ce qui a marqué son enfance c’est un sentiment de sécurité. Quand sa mère rentrait tard du théâtre et qu’il avait peur en se réveillant, il pouvait sans souci traverser le couloir en pyjama pour trouver refuge chez une voisine (74). Par contre, de l’école, malgré le fait d’y avoir reçu une formation solide, il garde un souvenir de grisaille, de médiocrité (161). Mais il apprend très tôt que la fantaisie permet de s’échapper dans le monde d’une liberté imprenable. C’est sans doute le fait d’avoir grandi dans un univers d’artiste qui lui a donné les outils nécessaires pour cette liberté intérieure, ce goût du risque existentiel aussi. Il dit :
« Pour avancer dans une narration, il faut avoir le courage d’emprunter des ponts qui peuvent céder sous le poids » (23) et
« L’aune de l’artiste, c’est sa liberté, et lui-même est son propre risque. » (50).
Quand il a 12 ans, son père lui offre une vieille caméra 8mm et il commence à tourner ses premiers essais. En 1984 il lit dans le journal que des milliers de personnes ayant émigré vers l’Ouest veulent revenir en RDA. Il remarque qu’on n’avait jamais parlé du fait qu’ils étaient partis ni pourquoi, et projette d’en faire un film. Malgré la critique inhérente au thème, la thèse centrale du film devait être qu’il valait mieux rester au pays. Pourtant, la Stasi vient l’arrêter, un matin très tôt, et lui confisque le manuscrit. Il raconte comment il se trouvait devant l’officier du renseignement auquel on portait sans cesse des bouts de papier avec des messages. Mais devant la persistance d’Andreas Dresen, assurant qu’il n’y a rien contre la RDA et qu’il n’a rien à cacher, il est finalement relâché le soir même. En fait, toute la troupe a été arrêtée, et tous se retrouvent le soir, inquiets que cet épisode puisse nuire à leurs chances de pouvoir étudier ou travailler. Mais Andreas n’en reste pas là. Il lit un livre sur le droit dans le domaine des films-amateur, puis il retourne à la Stasi réclamer le matériel confisqué – dont plus personne ne savait d’abord où il avait atterri. Mais il finit par obtenir raison (103ss). Et sans suite négative pour lui. Incroyable. Il a pu aller à l’école, faire des études de cinéma. Une fois il a été approché pour servir d’informateur – ce qu’il a refusé, là aussi sans conséquences négatives pour sa carrière.
Plus tard, il n’a pas envie de voir son dossier de la Stasi. Il prend seulement connaissance de ce qui le concerne dans le dossier d’un ami. Il trouve tout ça
« ridicule et nauséabond. Ridicule ce besoin constant de faire de tout une montagne, comme s’il s’agissait de la politique du monde et non des seules poubelles de Schwerin… C’est si arrogant, si stupide, mais quelque part aussi absurde et drôle » (113).
« La Stasi n’a probablement jamais compris que de cette façon elle ne faisait que créer inutilement de nouveaux ennemis ; probablement elle avait besoin de cette nouvelle ration d’ennemis pour garantir son plein emploi, ce qui lui importait bien plus que l’atmosphère dans le pays, marqué par l’envie et l’enthousiasme de créer quelque chose de nouveau. … Pensaient-ils que la peur allait conduire à la raison ? Une raison sous contrainte, donc son contraire. Comme on viole la morale quand on la confond avec l’obéissance envers les ordres de l’Etat. » (109)
En 1987 il reçoit l’autorisation de quitter le pays pour présenter son court-métrage Schritte des anderen au festival du film-amateur de Graz en Autriche. Il s’est demandé comment il avait pu l’obtenir. Il se posait la question, si les gens de la Stasi voulaient le mettre à l’épreuve, ou s’ils étaient stupides. Pourtant, malgré une courte hésitation, il revient au pays. Sa vie, ses études, tout est en RDA. Mais il a vu comment c’est ‘dehors’. Il était parti avec l’idée d’être confronté au méchant capitalisme. Mais rien de ce qu’il a vu n’était ‘méchant’. Il fut accueilli à bras ouvert. D’un voyage ultérieur à Paris il dit :
« Je sens mon incapacité d’exprimer ce que j’ai vécu. Il y a trop de schizophrénie, parce que des voyages à l’Ouest étaient tout de même un privilège… Le charme de cette ville est comme une étreinte à laquelle on ne saurait – et ne voudrait –se soustraire. C’est peut-être la vie tout court. De retour reste la question lancinante : pour combien de temps pouvons-nous nous fermer contre le monde ? Est-ce que notre pays peut se permettre de priver ses habitants de l’expérience d’autres cultures ? Est-ce que c’est seulement possible, un pays en tant que système culturel clos ? Est-ce que cela ne nous rend pas plus introvertis, plus médiocres ?... La vie est ailleurs… Il y avait une longue période où nous tenions bons. La colère n’est montée que petit à petit. Cela ne parle pas pour nous, mais dit aussi quelque chose d’un aveuglement volontaire ? » (181s)
Cette citation en dit long sur l’idéalisme d’Andreas Dresen. Quand il peut profiter d’une échappée à Paris, il se sent à la limite coupable – puisqu’il s’agit d’un privilège, donc c’est mal. Il y croit, à la société idéale où tous sont solidaires.
« Beaucoup de gens ont cru à un socialisme propre et ont été pris au piège. … Beaucoup sont entrés au parti dans l’idée de le réformer. »
Mais une fois dedans, il faut être loyal. Arrive alors inéluctablement le moment où la
« loyauté devient l’antichambre du mensonge. » (168) « Chaque collaborateur de la Stasi savait qu’il se mouvait dans la zone grise de l’abject, sinon on n’aurait pas eu besoin d’appeler cela ‘service secret’ » (116).
Mais ce système rend aussi attentif à ce qu’est la vérité - puisqu’il faut la chercher, sans être dupe du discours officiel.
« La vérité n’avait de place qu’entre les lignes » (197)
La multiplication des recettes de riz dans les journaux signalait qu’on allait manquer de patates. Le théâtre vivait du fait que dire la vérité était une aventure.
« Aujourd’hui le théâtre semble mourir un peu du fait que les vérités s’annulent mutuellement. » (198).
Dès sa jeunesse donc, Andreas Dresen est critique, mais non rebelle. Il n’est jamais entré dans le SED, parce que ses amis lui avaient dit que c’était mortellement ennuyeux. Il pensait qu’il ne fallait pas mettre la RDA à la poubelle, mais la réformer (151). En automne 1989 il participait aux démonstrations contre la réunification. Le fait que la RDA ait été purement et simplement absorbée était perçue par beaucoup comme une occasion manquée d’une vraie réforme avec des concepts nouveaux, mais toujours fidèle à l’idée d’une société plus juste.
Quand le mur tombe, il se demande comment il a pu accepter si longtemps cette limitation à la fois géographique et symbolique. Il réalise que la porte de Brandenburg est une porte !
« Il ne faut jamais croire à l’immuabilité d’une réalité telle que les puissants voudraient l’ancrer dans tous les esprits. » (165)
Mais il voit aussi dans le mur un stimulant : la nécessité de cacher le sens dans des métaphores était un défi à la créativité (136 et 152s). Les questions qu’il aimerait élucider :
« Combien de pression est nécessaire pour pousser quelqu’un à la trahison ? Quelles attitudes typiques sont produites par le manque de liberté ? Jusqu’à quel point le Bien peut être mal ? Est-ce que l’adaptation fait partie des droits de l’Homme ? » (167s)
La trahison dont il parle, est surtout celle par rapport à soi-même, celle de ces propres valeurs, de l’aune à laquelle on mesure ce qu’on fait. Il souligne qu’elle se cache sous l’argument du manque de moyens. Elle naît de la fatigue, de la pression, mais aussi du succès : tout concourt pour nous attirer sur le chemin de la moindre résistance. Elle nous tranquillise : « ce n’est pas grave, si… » C’est le cancer de chaque inspiration. Il ne faut pas lui donner de prise :
« La vigilance est le souci de ne pas devenir cynique envers les choses que nous faisons. »… « En tant que réalisateur il faut se rendre compte qu’on s’immisce dans le temps de la vie des gens. Cela demande d’en mesurer la responsabilité » (49).
Et il ajoute : « Je veux rester aimable ». En tant que membre du jury de la Berlinale en 2013, c’est cette même « amabilité comme concept philosophique » (225) qu’il a appréciée chez Wong Kar Wai, alors président du jury. Devise : on ne juge pas, on estime.
C’est un bon résumé.
L’entretien
(Extraits. L’entretien a eu lieu à l’hôtel Marriott le 8 fév. 2014. Voir la vidéo. )
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Vu de Pro-Fil
Est-ce que vous pourriez nous raconter un peu comment c’était en 1989, vous étiez étudiant à ce moment-là, vous ne connaissiez donc pas encore vraiment la réalité professionnelle en tant que réalisateur.
Andreas Dresen
J’ai étudié à l’école de cinéma de Babelsberg depuis 1986 et j’étais donc à la fac au moment des événements. Je suis très reconnaissant d’avoir pu vivre cela, car faire partie d’un processus historique et de s’y retrouver, c’est une expérience très importante. On apprend à se connaître avec ses angoisses, peut-être aussi son courage, et on se retrouve tout d’un coup dans des situations qu’on n’aurait jamais cru possibles. On s’imagine un changement ou une révolution comme quelque chose de très grand, mais en vérité cela se passe en des pas minuscules et presque comme par hasard. En été 1989 je n’aurais pas pu imaginer que seulement trois mois plus tard le mur ne serait plus là. Personne dans la RDA aurait fait ce pari.
Cela s’est écroulé comme des dominos, ça s’est passé très vite et de façon largement surprenante, je crois que l’Histoire prend ses propres chemins indépendamment de la volonté humaine. C’est très intéressant à observer et je crois que c’est immanent à ce type d’événements.
Pour nous cela signifiait le passage d’une production cinématographique organisée et régulée par l’Etat vers le marché libre. Dans la RDA il y avait en gros trois producteurs, la télévision est-allemande, le studio DEFA pour les fictions et celui pour les documentaires. Sur ces trois colonne reposait la production cinématographique de la RDA. C’était un système de studio pratiquement à l’américaine. Si on était engagé dans un tel studio, c’était un job durable, et on pouvait produire des films financés par l’Etat qui étaient évidemment aussi soumis à la censure de l’Etat ce qui a pu conduire souvent à des conflits – on connaît ça de l’histoire du cinéma allemand. Ces structures se sont écroulées après la chute du mur. 4000 employés des studios, plus personne n’en voulait ou aurait pu les payer. Aujourd’hui, la production cinématographique en Allemagne est, comme en France, décentralisée. Il y a des gens, des producteurs ici et là, des distributeurs épars, qui doivent se retrouver sur un projet. C’était très difficile pour des gens venus de la RDA et d’un système de production très différent de se retrouver sur le marché libre. Pour moi c’était un peu plus simple car j’étais alors juste au moment du passage entre mes études et ma vie professionnelle et j’ai donc pu m’adapter assez facilement. Pour les collègues plus âgés c’était extrêmement difficile parce qu’ils avaient travaillé toute leur vie sous d’autres conditions. Beaucoup de carrières se sont brisées ou ont été brisées à ce moment-là. C’était une période assez dramatique, mais aussi une chance. A posteriori je dois dire que je suis content que ça se soit passé, malgré les pertes – mieux vaut la jungle que le zoo. Dans la jungle on peut se faire manger. C’est un fait, mais je crois que l’art n’est pas possible sans risque. Cela signifie toujours qu’on peut se casser la figure, qu’on tombe sur des obstacles, il faut s’investir personnellement. Si on n’est pas prêt à ça, il vaut mieux faire autre chose.
VdP. Mais le libre marché mondial est peut-être aussi une forme de censure ?
AD. D’une certaine façon, oui. Nous n’avons plus de censure politique, on peut même presque dire qu’on peut faire n’importe quoi, on peut dire ce qu’on veut, mais la question est, est-ce que cela intéresse quelqu’un. Pour savoir quel film va être produit ou non, il y a un système de subventions en Europe, mais ils sont tous sous la pression de l’industrie cinématographique américaine, c’est clair ; en France il y a pour ça de très bonnes règles qu’il faut saluer ; nous n’avons pas ça en Allemagne, nous sommes exposés au marché de façon beaucoup plus crue – et ça se voit au résultat, comment les gens vont au cinéma. J’adore le public français qui reçoit une super formation déjà par le choix des films qu’il peut voir dans les cinémas. En Allemagne, comme le marché est totalement ouvert, c’est très différent. Il y a des films que j’adore, comme Une séparation d’ Asghar Farhadi, il a été vu en Allemagne par un peu plus de 100 000 spectateurs, j’étais déjà très content, mais en France il y en avait plus d’un million. Toute la différence est là : les Français sont une population cinéphile, c’est formidable, j’aimerais pouvoir transposer le système français en Allemagne, mais comme notre pays s’est décidé pour le fédéralisme, c’est difficilement réalisable.
VdP. Est-ce que vous pourriez nous conseiller des films qui montrent la problématique de l’ancienne RDA d’une façon que vous jugez pertinente ?
AD. C’est difficile car de mon point de vue il n’y a pratiquement pas de vraiment bons films sur ce thème. Il y a des films qui traitent le sujet sur le mode de la comédie, il y en a qui sont connus et qui sont de bonnes comédies, comme Good bye Lénin, j’ai bien aimé ce film parce qu’il n’essaie pas de ‘refaire’ la RDA, mais qu’il choisit sciemment le ton de la galéjade et donc dit dès le début qu’il ne s’agit pas de donner une vue réaliste. Un autre film très connu, La vie des autres, est pour moi une grande faute car il essaie de traiter la RDA sur le mode d’Hollywood et ça ne peut pas fonctionner. C’est un film bien fait, avec du suspense, mais qui n’a rien à voir avec la réalité de la RDA. Malheureusement ce sont ces films-là qui ont marqué l’image de la RDA et de la réunification. L’un de façon comique, mais pas réaliste – ce qui n’était pas sa prétention- l’autre qui veut faire réaliste, mais qui tombe dans le cinéma du genre. Il y a peu de films populaires. Mais il y a des documentaires.
J’ai fait trois films sur la RDA, je suis en train d’en tourner un nouveau, pas directement sur la RDA mais qui touche à ce problème, mais dans les années 1990 j’avais fait l’expérience qu’en fait, personne ne voulait voir ce genre de films. Il n’y avait aucun intérêt pour un regard nuancé. J’ai donc logiquement arrêté. Je me suis dit, ils s’intéressent pour un regard autre que je n’ai pas envie de fournir, il vaut mieux que je m’arrête. De l’autre côté, le succès mondial de La vie des autres était pour moi un signal où je me suis dit, si on laisse complètement aux autres le soin d’en parler il faut pas se plaindre quand les gens ont une vision fausse. J’ai donc recommencé à traiter de ces problèmes et je ferai de temps en temps de nouvelles tentatives. Je ne sais pas si ça marchera.
VdP. Quid de Monsieur Wichmann du 3e rang, est-ce qu’il viendra en France ?
AD. Je ne pense pas, aucun distributeur français ne s’intéresse à un film sur un Allemand engagé dans la politique communale.
VdP. Je le trouve génial, ça serait bien de pouvoir le montrer justement maintenant pendant la période des élections municipales.
AD. Jusqu’à maintenant il n’est même pas sorti en Allemagne, mais il sera montré en automne. Mais il a eu de beaux succès dans des festivals, aussi à l’étranger ; en fait c’est de partout la même chose, ce type d’homme politique existe partout au monde. Il est le représentant typique de cette profession et je dois dire, un représentant sympathique.
VdP. Pouvons-nous revenir brièvement à l’époque de la RDA, vous étiez encore très jeune, mais vous avez peut-être pu entendre de vos collègues plus âgés comment ça se passait avec la censure.
AD. Les films qui étaient produits étaient contrôlés au studio, je ne sais pas comment ça se passait exactement, je ne l’ai pas connu personnellement. Les films qui étaient réputés difficiles étaient expertisés par des instances politiques, il y avait un du film qui les a regardait ; il était plutôt bienveillant, mais quand il y avait quelque chose de trop critique il ouvrait le parapluie auprès de gens haut placés et ça pouvait créer des problèmes. Il y avait des films qui sont d’abord sortis et ont disparus ensuite, par exemple Spur der Steine4. Et d’autres films, qui avaient pourtant un esprit tout à fait anarchique, comme Die Legende von Paul und Paula5, ont réussi à passer la rampe. Comme toujours, il n’y avait en fait pas de règle, il y a toujours eu des films qui ont réussi à passer à travers les mailles du filet. Les gens de la RDA étaient bien entraînés à aller se chercher les raisins dans le gâteau, ils savaient très bien quand il y avait un film avec un message politique sous-jacent, ils sont allés les voir et les ont regardé en détail. Tout le monde était au courant. Par exemple un film comme le merveilleux Solo Sunny de Wolfgang Kohlhaase6 : l’anarchie est déjà dans le titre. « Solo » dans un pays où il s’agit de s’intégrer dans un collectif - puisque l’essence de l’idée socialiste, c’est la communauté - donc placer au centre du récit un personnage en quête de son « solo » c’est déjà en soi une idée anarchiste. Et voilà, tous les gens sont allés le voir. Il y a donc toujours eu des films qui ont réussi à contourner la censure, et dans la politique il y avait aussi des gens bienveillants qui étaient prêts à aider. Pour moi, c’était le directeur de l’école de cinéma, Lothar Bisky, qui fut plus tard le chef du parti de gauche et vers la fin de sa vie surtout engagé dans la politique ; il a commencé comme directeur de l’école au moment où moi-même je suis entré dans cette école. Il a toujours essayé d’être là pour les étudiants et de tout ouvrir tant vers l’intérieur que vers l’extérieur. En fait, à l’école de Babelsberg il y avait déjà dans les années 1980 'Glasnost' et 'Perestroïka'. Il y avait beaucoup de possibilités. Que nous, étudiants, nous ayons osé faire des films impertinents, ça venait moins du fait que nous étions particulièrement courageux que de celui d'avoir un directeur formidable qui nous a protégés et nous a offert cette chance.
P. Est-ce que la censure valait déjà pour des manuscrits, ou seulement au moment du tournage ?
AD. Il est évident que, quand un film est produit avec de l'argent de l'Etat, on regarde dès le manuscrit s'il est opportun. Il y avait beaucoup de réalisateurs qui n'ont fait aucun film pendant des années parce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir l'autorisation pour leurs manuscrits.
Conclusion
Je remercie infiniment Andreas Dresen pour cet entretien. Et plus largement pour ses films et les émotions et les réflexions qu'ils engendrent sur la vie. Pour les questions qu'ils posent sur la façon juste de vivre en ce monde, surtout quand la vie ne fait pas pleuvoir que des roses. Et les réponses qu'ils suggèrent, tout doucement et sans jamais violer la conscience du spectateur. Car la beauté du cinéma, c'est aussi de participer à cette vaste aventure humaine, commencée avec les récits autour du feu, puis tous les écrits de l'histoire de l'humanité, mais dans un film de façon plus intense encore par la force des images, à savoir l'aventure de l'émancipation de l'homme du réel par la transmission des histoires vécues par d'autres et par l'invention encore d'autres histoires seulement possibles - voire impossibles. Cet élargissement de notre compétence à comprendre la vie humaine au-delà de nos propres vies, à imaginer une vie autre, à transformer le monde pour y vivre mieux, c'est la dignité particulière de l'art. Et Andreas Dresen est un grand artiste.
Waltraud Verlaguet
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