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Découvrir le cinéma turc

Cet article est la version étendue de l'article Türk Sinemasi paru dans Vu-de-Pro-Fil N°21

Les films marqués d'un dièse # ont fait l'objet d'une analyse par Pro-Fil.

La sortie cet été sur les écrans de la superbe Palme d'or du dernier festival de Cannes, Sommeil d'hiver# (Winter Sleep / Kis Uykusu de Nuri Bilge Ceylan 2014, 3h16), nous rappelle l'existence de ce cinéma turc qui régulièrement fait apparaître à nos yeux des films remarquables, comme des pointes d'iceberg surgissant d'un océan opaque et mystérieux. Certains l'expliquent par une sorte de schizophrénie, les films d'auteurs produits pour l'exportation en Occident coexistant avec une masse de films commerciaux pour le marché national. Qu'en est-il, si l'on y va voir ?

Les débuts

Theo Angelopoulos, dans Le regard d'Ulysse (1995), lançait son héros à la recherche d'une copie miraculeusement préservée du premier film grec (1911), La visite du sultan Mehmet V Reshat à Monastir, filmé par les frères Janaki et Milton Manaki. A la grande fureur des Macédoniens, car Monastir est désormais en Macédoine sous le nom de Bitola, et le film est donc macédonien. Erreur encore ! Il s'agissait du premier film turc, puisque toute la région faisait alors partie de l'empire ottoman... Quant au premier film d'un ethnoturc, il est attribué à Fuat Uzkinay, officier de l'armée chargé de filmer (1914) La démolition du monument russe d'Ayastefanos, érigé en 1878 par l'armée russe à sa propre gloire dans la banlieue d'Istanbul, mais la trace en a été perdue.
Les préventions d'Abdulhamid II (sultan de 1876 à 1909), hostile à tout ce qui était électrique ou manivelle, handicapèrent cependant les débuts de l'histoire du cinéma en Turquie, et nous pouvons nous rendre directement à l'ère kemaliste, après 1923.

Le jour viendra où l'on reconnaîtra que l'invention du cinéma aura changé la face du monde plus que l'invention de la poudre à canon ou de l'électricité, ou encore la découverte de nouveaux continents. Le cinéma permettra à des gens vivant dans les contrées les plus reculées de la planète de se connaître et de s'aimer. Le cinéma supprimera les différences d'opinion et de conception et permettra de transformer les idéaux de l'humanité en réalité. Il est essentiel que nous accordions au cinéma l'importance qu'il mérite. (Mustafa Kemal Atatürk, 1937)

Cette superbe et célèbre citation n'est cependant qu'un cache-misère : le cinéma ne fut longtemps pour l'Etat turc que matière à taxer et censurer, et le directeur inamovible du Théatre municipal d'Istanbul, Mohsen Ertugrul, fut le seul réalisateur de Turquie jusqu'à la mort d'Atatürk (1938) ; il tourna, lui ou ses protégés, une vingtaine de films inspirés du théâtre. Cela s'appelle l'ère des hommes de théâtre, qui laissa des traces encore après guerre puisque sous sa férule s'étaient formés nombre des producteurs, chefs opérateurs, cadreurs, monteurs, assistants... et comédiens bien sûr, qui réalisèrent les films ultérieurs. Ce fut alors l'ère des hommes de cinéma (chef de file Ömer Akad, Frappez la putain / Vurun kahpeye 1949, critique de l'obscurantisme envers une femme courageuse pendant la guerre de libération).

D'Arabesk à Yilmaz Guney

La sortie de la guerre vit déferler les films américains, tandis que s'installaient autour de la rue du Pin vert (Yesilcam) les studios d'Istanbul. Cette première époque, protégée contre les films égyptiens trop bigots (la république kémaliste se voulait laïque) que remplaça leur variante arabesk (sentimentalité et mélodies orientales), fut fertile aussi en westerns kebab, et en stars appelées jön (prononcer 'jeunes'). La Turquie se mit à produire les films par centaines et devint numériquement le quatrième producteur mondial. L'eau de rose tourna même au film « rose » quand la Turquie vit proliférer (seul pays musulman dans ce cas) les pellicules plus qu'osées (2 sur 3 en 1979).

De rares produits de ce temps sont apparus dans nos festivals, par exemple Trois amis (Üç Arkadas, de Memduh Ün, 1956), portrait comique et affectueux 'à la Pagnol' du petit peuple ; et surtout Un été sans eau (Susuz Yaz, de Metin Erksan, 1964, Ours d'or à Berlin), au brûlant érotisme de suggestion, puis Espoir (Umut, 1970), Ours d'or également, premier grand film de Yilmaz Güney. Un coup d'état militaire (1980) imposa une 'synthèse turco-islamiste' qui en dix ans fit tomber la production à une douzaine de films par an. La crise engendrée par la télévision avait ramené le parc turc de 2400 écrans (1970, 250 millions de spectateurs) à 281 (1993, moins de 20 millions ; il est remonté à plus de 1500 actuellement, mais en multiplexes aux salles bien plus petites). Mais en même temps se forgeait la 'nouvelle vague néo-réaliste' d'où émergea un trublion génial, le Kurde Yilmaz Günes, acteur célèbre (sous le sobriquet d'un de ses premiers rôles, le roi laid) puis réalisateur engagé (Les loups affamés / Aç kurtlar 1969, Un homme laid /Bir çirkin adam 1969, etc.). Son film Yol (La route ou La permission, 1982), première Palme d'or turque, fut tourné par son ami Serif Gören : lui, douze ans prisonnier politique, enfermé, en fut le scénariste et monteur. Il mourut à 47 ans, exilé à Paris (1984).

L'ouverture progressive

A partir de 1990, le programme Eurimages de collaboration entre pays pour produire et distribuer les films ouvrit pour la Turquie une fenêtre technique et financière, et augmenta sa présence sur nos écrans. Le renouveau fut signalé par le succès commercial de Eskiya, le bandit (Yavuz Turgul 1996) et la production remonta après l'an 2000 pour dépasser de nos jours 50 films par an. Grands titres et grands auteurs nous sont connus désormais : de Nuri Bilge Ceylan citons encore Nuages de Mai# (Mayis sikintisi, 2000)  ; Les trois singes# (Uc maymun, 2009) ; Uzak# (Lointain, 2004) ou Il était une fois en Anatolie# (Bir zamanlar Anadolu'da, 2011) ; de Semih Kaplanoglu, la trilogie Œuf (Yumurta, 2007), Lait (Süt, 2008), Miel# (Bal, 2010) ; de Dervis Zaim, Soubresaut dans un cercueil# (Tabutta rövasata, 1996) ou Ombres et visages (Gölgeler ve suretler, 2011) ; de Reha Erdem, Des temps et des vents# (Bes vakit, 2006), etc. Sans oublier de brillants bi-nationaux, comme Fatih Akin en Allemagne (De l'autre côté#/ Auf der anderen Seite, 2007), ou Ferzan Özpetek en Italie (Le dernier harem / Harem suare, 1999).

Les sujets délicats

Quand démocratie et liberté d'expression affrontent autoritarisme militaire et conservatisme religieux, comment les sujets 'délicats' – minorités ethniques, religion, conservatisme social, discriminations et questions de genres – vont-ils sur les écrans ? Souvent présents dans le tableau social peint par les cinéastes, ils sont plus rarement objet d'examen ou de débat. Ainsi, les minorités (Kurdes, Grecs, Arméniens) sont le sujet de films comme Aller vers le soleil de la réalisatrice Yesim Ustaoglu (Günese yolculuk, 1999, sur la discrimination envers les Kurdes) ou Boue (Çamur, 2003, de D. Zaim, vision politiquement incorrecte d'un Turc chypriote sur la partition de l'île). Douleurs d'automne (Guz sancisi, de Tomris Gimritlioglu, 2009) rappelle le pogrom d'Istanbul, 1955, contre les chrétiens grecs et arméniens. La religion (islam sunnite), fait social omniprésent, est discutée par exemple dans Takva : l'homme qui craint Dieu (Takva, de Özer Kiziltan, 2006) où suite à une promotion le héros, bon musulman, affronte les faces peu glorieuses de l'institution religieuse ; l'importante minorité Alevi (soufi) est invisible, sauf exceptions (Summer love / O da beni seviyor / Amour d'été, de Baris Pirhasan, 2001). Chrétiens et Juifs figurent dans les films historiques, ou en contexte étranger. Le statut des femmes revêt sa forme traditionnelle (soumission et rôle socialement déterminé) mais devient parfois l'objet de l'analyse (Rosa, je t'aime / Seni seviyorum Rosa de Isil Özgentürk, 1992 ; Le dernier harem de F. Özpetek). La question LGBT est, on s'en doute, réduite à de rares œuvres, mais qui existent (Robert's Movie, de Canan Gerede 1991). L'importance de l'émigration en Europe, et la force des liens entretenus avec le pays d'origine, alimente nombre de films y compris sur les sujets ci-dessus : Une seconde femme (Kuma, de Umut Dag, 2012 ; Le bain turc /Hammam de F. Özpetek, 1997).

Le public turc, envahi (90%) par les films américains, donne sa préférence aux films nationaux vus 3 à 4 fois plus : deux films étrangers seulement figurent au classement des 20 plus grands succès de public du cinéma en Turquie, Titanic (12°, alors qu'il est au 2° rang mondial) et Avatar (19°, 1° mondial). Par comparaison, en France, la liste des 20 films les plus vus comprend 13 étrangers dont 12 américains, avec Titanic 1° et Avatar 8°...
Mais malgré Eurimages, les films turcs sont en général mal distribués en France, et bien heureux qui a pu voir cet été les très-prometteurs Je ne suis pas lui (Ben o degilim, de Tayfun Pirsemoglu) ou Araf, quelque part entre deux (Araf, de Yesim Ustaoglu), projetés peu de fois en de rares salles.

Jacques Vercueil

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