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* Le jury est composé de 16 membres, délégués par différents œuvres et mouvements protestants pour une durée de 4 ans (voir : le site du jury).


L’art du discernement comme tâche protestante

Un jury protestant engagé depuis 65 ans dans un dialogue constant entre protestantisme et cinéma

Voir le texte allemand sur le site d'Interfilm

Il y a plusieurs motivations pour s’intéresser au cinéma. Pour les uns il s’agit d’un divertissement réussi, d’autres recherchent le sensationnel et l’excitation des sens, et d’autres encore sont fascinés par des regards différents et des perspectives déstabilisantes.

Chaque année, une multitude de films sont produits dont nous ne voyons qu’une petite partie en Allemagne. Des expériences culturelles et sociales, des contextes politiques et des quêtes individuelles de sens et de liberté se reflètent dans des films qui sont autant de mises en scènes, en quête à leur tour d’une expression cultuelle pertinente. Un jury qui cherche à juger ces films selon des critères à la fois esthétiques et éthiques se voit devant une tâche difficile dans ce cabinet des illusions et des angoisses, des fantaisies et des expériences vécues, tâche d’autant plus difficile que nous y ajoutons la tradition chrétienne avec sa Bible et sa confession en tant qu’horizon de la réception du film. Malgré ces difficultés, le « Jury du travail protestant sur le film »* a réussi à recommander en 65 ans 740 films en leur accordant le label « film du mois », offrant ainsi, à l’intérieur de l’histoire centenaire du cinéma, une orientation unique de la part des Eglises dans le monde de la culture.

Le premier film primé par ce jury en novembre 1951 était Vivre en paix de Luigi Zampa (1946). En août 2016 c’est Fuocoammare, au-delà de Lampedusa  de Gianfranco Rosi, Ours d’Or de la Berlinale de la même année, qui a été nommé « film du mois ». Au fil des ans un large spectre de films ainsi distingués s’est accumulé et le Jury est devenu une référence pour une critique de cinéma engagée. Le Jury cherche à promouvoir, non pas tant les blockbusters d’Hollywood, marqués dans leur esthétique et leur éthique par le calcul économique, que les « petits » films d’auteur. L’art cinématographique dans son ensemble doit trouver son public, car les réalisatrices et réalisateurs posent un regard aigüe sur notre condition humaine et nous le transmettent avec une intuition créative et une imagination formelle qui nous permettent de percevoir le monde de façon nouvelle.

Découvrir ces nouveaux regards, voilà l’aventure de ce Jury à travers les décennies. Il a appris de distinguer entre clichées et concepts novateurs, entre kitsch sentimental et prise de conscience surprenante, entre un tissage réussi d’éthique et d’esthétique et une mise en scène simplement pleine de bonnes intentions.

L’art du discernement

Ouverture d’esprit et discussion franche ont été et sont toujours les maîtres-mots du Jury, ce qui implique l’autocritique et une constante mise en question de son jugement. Car le discernement est un art qui demande beaucoup d’expérience, de savoir-faire et d’attention. En s’efforçant lors de chaque visionnage d’aiguiser ce discernement, le Jury reprend implicitement, et parfois explicitement, un principe fondateur de l’héritage protestant.

En effet, le protestantisme vit d’une distinction claire entre Dieu et l’homme, entre Eglise et Royaume de Dieu, entre rêve humain de toute-puissance et la miséricorde divine, entre grâce et œuvres, entre aspiration à l’universel et implication locale, entre Etat et Eglise, entre religion et foi. La Réformation de Luther et Calvin est née de l’opposition à un manque de distinction dans la vie ecclésiastique et sociale. Distinction ne signifie pas séparation, mais ouverture à une relation riche et une vie en plénitude qui, sans cette différenciation, enfermées dans un carcan dogmatique et uniforme, ne sauraient se déployer ni dans les espaces décisionnels ni dans ceux de la création esthétique. Celui qui apprend à discerner gagne en liberté et en créativité.

Cela est vrai pour la foi chrétienne comme pour la raison profane. Une perception différenciée forme le goût et conduit à une meilleure compréhension. Contre une Eglise catholique, écrasant à l’époque la pensée et la vie sous sa chape de plomb, le protestantisme a insisté sur le droit de distinguer de façon critique entre l’Eglise et le salut, entre la vérité incarnée en Christ et son attestation, entre la foi chrétienne et une conscience religieuse générale. C’est cette capacité et cette volonté à discerner qui fonde la capacité de l’Eglise à se réformer sans cesse. Car l’art du discernement est l’élixir de vie d’une critique qui pose la question de l’expression convenable de la vérité et de la réalité. La Réformation, malgré ou plutôt à cause de sa critique constante de ses propres dérives dogmatisantes, fait partie intégrante de l’histoire de la pensée critique sans laquelle la science et l’art modernes dans leur variante sécularisée seraient impensables. Insister sur la nécessité de la distinction dans la perception, la compréhension et le jugement maintient ouvert le questionnement, interroge le consensus et met en mouvement des lignes prétendument fixes.

Une responsabilité éthique

Le « Jury du travail protestant sur le film » se sait l’héritier de ce protestantisme critique en essayant mois pour mois de choisir, à partir d’une offre extrêmement riche de films, celui qui « contribue à améliorer le vivre-ensemble des hommes, à questionner ses propres positions, à percevoir la responsabilité pour d’autres et à mettre en pratique le message de la Bible » (comme le dit le Jury lors de sa justification mensuelle de son choix ; voir www.filmdesmonats.de).

Le Jury se doit de respecter l’équilibre entre qualités esthétiques et éthiques et l’importance thématique des films qu’il choisit. Ses recommandations sont sujettes à controverses de la part de la critique de cinéma dont elles font partie. Si on observe sa pratique durant la dernière décennie, on aperçoit les reflets de débats sociaux et culturels, des discussions historiques et des quêtes existentielles dans les différents films qui, tel un sismographe, forment le regard sur la réalité. Si dans les années 1950 et 1960 l’Eglise pouvait encore avoir des prétentions normatives par rapport à l’art cinématographique, les années 1970 posent plutôt la question en termes de responsabilité éthique, tandis les années 1980 et 1990 plaident pour un élargissement de la perception esthétique. Si, en 1963, le jury a encore pu formuler sa justification de la distinction du film Les séquestrés d’Altona de Vittorio de Sica ainsi :

« Le film serait encore plus convaincant pour le spectateur chrétien si son exigence justifiée d’une honnêteté sans compromis envers sa propre conscience était complétée par la possibilité de son dépassement par la grâce divine, promis au pécheur repenti »,

il insiste aujourd’hui sur l’ouverture de nouvelles perspectives comme il le formule dans la justification de Fuocuammare de Rosi :

« Le réalisateur a vécu une année sur Lampedusa… , il est sorti en mer avec les gardes-côte et a vu les catastrophes qui arrivent dans les bateaux des migrants : désespoir, affaiblissement, mort. En tant que lieu de vie et d’asile, Lampedusa a de multiples visages. Le migrant qui y arrive est admis dans un camp de transition et envoyé ailleurs dès que possible. Son drame, malgré une couverture médiatique constante, reste caché. Sans emphase et sans accusation morale, le film prend acte de cette invisibilité à travers même sa visibilité. »

Ouverture à l’autre

Un jury protestant qui exerce l’art du discernement acquiert une capacité au dialogue culturel qui prend au sérieux l’autre et questionne la possibilité que la miséricorde divine et son amour pour l’homme puissent devenir audibles et visibles.

Des films dont fond et forme rendent compte d’un monde différencié sont un vrai défi pour le jugement critique du Jury. Le mythe, repris sans cesse et magnifié par le film populaire, est au contraire mis en question par l’art cinématographique.

L’art du discernement est une vertu non seulement esthétique, mais aussi théologique. Par des nominations courageuses, le Jury s’est bien souvent confronté aux questions épineuses de la violence et de la sexualité à l’écran. De même, le nazisme et l’holocauste ont fait partie dès le début des thèmes qui ont commandé une réception différenciée de la part du Jury. Les discussions les plus douloureuses parmi les membres du Jury ont été celles autour d’un antisémitisme toujours virulent et sa mise en scène politique et esthétique.

La réception interculturelle des films et sa difficulté à définir la relation entre le soi et l’autre font partie du travail du Jury dans le contexte d’une culture cinématographique globalisée, tout comme sa sensibilité pour des évolutions nouvelles de cette culture. Pour certaines paysages cinématographiques le Jury a même été un pionnier en Allemagne : entre 1987 et 1993 il a distingué plusieurs films de la Russie et des autres Etats de l’Europe de l’Est, films qui, par leur réflexion esthétique, ont attiré l’attention sur la situation difficile des femmes et des hommes de ces pays.

Malheureusement, des cultures cinématographiques régionales ne sortent pas indemnes des conflits et des guerres. Mais sauvegarder la richesse culturelle face à une industrie cinématographique gigantesque de l’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis devrait faire partie intégrante d’une réception différenciée. C’est pourquoi le Jury recherche constamment des films d’auteur qui témoignent de contextes locaux et qui trouvent leur chemin vers la distribution allemande. Ces dernières années cela a pu être réalisé de façon exemplaire pour le cinéma iranien. Ici aussi, le Jury a fait office de pionnier. Des films d’A. Kiarostami, récemment décédé, et Taxi Téhéran de J. Panahi, primé par le Jury en 2015, nous rapprochent d’un mode irréductible à la simple alternative ‘moderne occidentale vs.fondamentalisme islamiste’.

Par son travail de discernement, le Jury accroît la capacité de l’Eglise à percevoir et dire les choses, en insistant non seulement sur l’efficacité publique, mais aussi sur le dialogue culturel fondé sur un apprentissage constant. Le Jury est une voix spécifique du protestantisme qui se vérifie en écoutant et en regardant de près les « paraboles de la vie » telles qu’elles sont racontées dans les films. (traduction : Waltraud Verlaguet)

Le président du « jury du travail protestant sur le film »

 

Werner Schneider-Quindeau

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