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 Médée (1970)

 Scénario de P.P.Pasolini d’après Euripide

 Musique : chants populaires balkaniques et tibétains. Anciennes musiques de cour persanes et japonaises sélectionnées par P.P.Pasolini et Elsa Morante.

 Interprétation : Maria Callas : Médée

 Laurent Terzieff : Chiron

 Giuseppe Gentile : Jason


Les mythes au cinéma : Médée de Pasolini

Séminaire 2006

Pier Paolo PASOLINI (1922-1975) : un sommet dans le panorama du cinéma italien. Et comme souvent les grands sommets : un mystère, presqu’un mythe déjà. L’homme aux lunettes noires, l’être secret qui toujours a refusé de parler de lui-même dans ses écrits, est devenu légendaire. Dans nos mémoires demeure le souvenir de sa mort tragique, ignominieuse, par une nuit de novembre : Pier Paolo assassiné par un garçon, sur un terrain vague, près de Rome.

 Pier Paolo, le paria de la société italienne conservatrice des années 60-70, avait fini de vivre.

 Avant de tourner Médée en 1970, Pasolini avait montré son intérêt pour les textes fondateurs en réalisant en particulier L’Evangile selon Saint Matthieu (1964) puis Théorème en 1968. L’un et l’autre s’avèrent être une interprétation moderne des textes sacrés : il disait y voir une image des drames d’aujourd’hui et, pouvons-nous penser, de son drame personnel.

 Ces deux films ont suscité la colère et l’indignation de ceux qui n’y ont vu que blasphème et provocation. Pasolini a vu grossir les rangs de ceux qui le reléguaient au rang d’impie, d’homme scandaleux.

 D’autres, saisis par la force et le dépouillement des images du cinéaste, ont salué là deux grands films..

 C’est alors que Pasolini se penche sur le mythe de Médée. Il en fait un film remarquable, à la fois somptueux et dépouillé, poème et tragédie. Médée est l’œuvre d’un Pasolini visionnaire mais tout autant engagé politiquement aux côtés des plus démunis. Un Pasolini qui faisait du christianisme et du marxisme, revus l’un et l’autre à la lumière de sa sensibilité, le terreau de ses films.

 Le mythe de Médée dans la mythologie grecque et chez Euripide : la mère infanticide.

 Médée, fille du roi de Colchide, sur les rives de la Mer Noire, est séduite par le grec Jason, venu en terre « barbare » pour s’emparer de la « Toison d’Or ». Sous l’empire de la passion pour ce bel étranger, Médée trahit les siens en l’aidant à dérober l’objet sacré. Jason retourne en Grèce avec Médée. Ils ont deux enfants. Or l’union d’un grec avec une barbare ne pouvait y être reconnue. Alors Jason est infidèle : il se fait aimer par Créuse, la fille de Créon, roi de Corinthe. Celui-ci, pour éloigner Médée, la condamne à l’exil. Médée, folle de douleur, se venge terriblement : elle fait mourir sa rivale, puis immole les deux enfants qu’elle a eus de Jason.

 La Médée de Pasolini : un autre éclairage.

 Nous choisirons dans ce film trois aspects qui semblent avoir été pour le cinéaste d’une extrême importance et avoir, tout au long de son œuvre, nourri sa réflexion :

 I.La mission de l’Educateur

 Pasolini ouvre son film sur le personnage mythique du Centaure Chiron : c’est l’Educateur, le Pédagogue, une créature mi-homme, mi-cheval (qui a élevé entre autres Achille, Héraklès et Thésée…)

 C’est ainsi que Pasolini entend la mission de l’Educateur : élever l’homme au rang d’être civilisé.

 II. « Civilisation » ou « Non-civilisation » ?

 -Aux yeux des grecs, tout pays étranger était un pays barbare : non-civilisé.

 Pasolini nous transporte dans une Colchide lunaire, une cité troglodyte, un labyrinthe de défilés et de terrasses improbables : nous sommes chez les Barbares.

 Ici : tout est sacré. C’est le jour de la Fête de la Fécondité. Toute la population se rend au lieu sacré pour assister à un sacrifice humain, hommage au dieu de la fécondation et de la mort. Le silence accompagne les rituels. Médée, revêtue de ses lourds vêtements sacrés, préside la cérémonie : « donne vie à la semence et renais avec elle ». Les membres et le coeur de la victime sont ensevelis dans la terre que doit féconder le sang.

 Pasolini salue une civilisation où priment l’archaïque, le sacré, l’irrationnel. Là, tout est saint : à la mort succède la vie.

 -Le monde « civilisé » des grecs.

 -Nous découvrons brutalement Jason et ses hommes (les futurs argonautes), bien alignés sur une plage éblouissante : la pure horizontalité à perte de vue. Des héros prêts à partir à la conquête de la Toison d’Or : Héraklès, Orphée, Castor et Pollux, Pelée, Hermès…qui, à peine arrivés en terre étrangère, vont se conduire comme une bande d’aventuriers sans foi ni loi, une folle cavalcade de pilleurs et de voleurs de chevaux.

 -Pasolini, un peu plus tard, va mettre en scène un autre grec civilisé : Créon lui-même, roi de Corinthe, ville raffinée entre toutes. Créon se rend chez Médée pour lui annoncer sa condamnation à l’exil (pire que la mort à cette époque).

 Il descend de la ville vers la maison de Médée, qui habite en contre-bas, hors-les-murs, comme étrangère. Et cet homme civilisé s’adresse en ces termes à Médée : » Ce soir, je vous aurai jeté dehors au-delà des frontières, parce que tu me fais peur….en tant que barbare venue d’une terre étrangère….tu es différente de nous, arrivée avec les signes d’une autre race… »

 Qui est civilisé, et qui ne l’est pas, dans la lecture de Pasolini ?

 La douloureuse réflexion de Pasolini sur le statut de l’Autre, de l’Etranger, de celui qui dérange l’ordre établi et qu’il faut exclure à tout prix, ne peut nous échapper et rejoint l’engagement politique que le cinéaste exprime ainsi dans « Dernières Paroles d’un Impie » :

 (On peut voir dans ce film…) « l’antagonisme de deux cultures….ce pourrait être aussi bien l’histoire d’un peuple du tiers-monde, d’un peuple africain par exemple qui connaîtrait la même catastrophe au contact de la civilisation occidentale matérialiste. »

 III. La passion de Médée : amour extrême – extrême souffrance - mort.

 -La passion amoureuse s’empare de Médée : le coup de foudre.

 Médée semble « entendre » Jason, à peine débarqué en Colchide, avant même de l’avoir vu : les dieux en ont voulu ainsi, de tout temps, la passion s ‘est emparée des hommes sans les consulter.

 Pasolini filme alors Médée prise d’une grande agitation : elle pousse des cris, se jette à terre, se rend au temple où elle s’agenouille devant la Toison d’Or. Alors que Jason lui apparaît dans l’encadrement lumineux de la porte, elle tombe à terre, comme « foudroyée ». Déstabilisée à la simple vue de Jason,

 Elle perd le sens du sacré : elle essaie d’arracher la Toison de son socle pour la remettre à l’intrus. Elle renie ses origines et ses dieux : le sacré se trouve brutalement désacralisé.

 Pasolini commente : «Elle tombe comme saint Paul et se relève ayant perdu la foi : c’est une conversion à l’envers ».

 -L’amour-haine

 Jason est infidèle : il ne vient plus visiter Médée dans sa demeure hors-les-murs, en contre-bas des remparts puissants de Corinthe. La maison de pierre est froide comme un tombeau. Alors Médée se fait accompagner par sa nourrice dans la ville haute, malgré l’interdiction formelle faite aux étrangers de pénétrer dans la ville. Elle y aperçoit Jason riant et dansant avec des jeunes gens. Médée ramène ses longs voiles sombres sur son visage et pleure. La haine au cœur.

 La vengeance de Médée

 Médée, encouragée par ses servantes, « femmes aussi », renoue avec ses origines : petite-fille du Soleil, elle invoque son aide qui aussitôt l’enveloppe de sa chaude lumière orangée et lui rend ses talents anciens de magicienne. Elle fera porter par ses deux fils une tunique magique à sa rivale en signe de réconciliation. Mais la tunique s’enflammera et fera périr la jeune femme avant ses noces avec Jason.

 Médée : infanticide ?

 Cette scène est capitale : Pasolini nous fait voir une Médée très différente de la Médée d’Euripide qui tue froidement ses enfants pour mieux se venger de Jason, leur père.

 Ainsi Médée se rend dans la pièce où les deux petits garçons écoutent leur précepteur jouer de la musique pour eux, à côté d’un brasier : les braises où couve la vengeance ?

 Elle prend le plus jeune des enfants par la main et l’emmène dans la pièce contiguë où se trouve une bassine d’eau claire. Elle baigne l’enfant : rite de purification ? eaux matricielles ? Puis elle le sèche doucement et lui passe une longue tunique blanche : un linceul ? Elle allonge alors l’enfant sur ses genoux, et le berce tendrement : comme s’il venait de naître de son sein. Elle l’endort en murmurant : »dors, mon amour ». Elle reproduira les mêmes gestes avec l’aîné. On aperçoit rapidement la lame ensanglantée d’un couteau, les enfants sont maintenant hors-champ.

 L’image de Médée tenant son fils allongé sur ses genoux : est-ce vraiment l’image d’une mère infanticide ? Ne serait-ce pas plutôt une sorte de Pieta, une Mater Dolorosa, revisitée par la sensibilité de Pasolini : une mère qui recueille son enfant mort, victime de la trahison des hommes ?

 Pour conclure :

 Nous restent en mémoire les images somptueuses et bouleversantes d’un film peu connu de Pasolini, passé presqu’ inaperçu à sa sortie, malgré le jeu de la Callas, magnifique tragédienne dans le rôle de Médée.

 On y trouve une méditation sur le mystère de l’être, sur son ambivalence et la déchirure qui en résulte : « Il est impossible de voir au fond de l’âme » dit Créon dans le film.

 Pasolini savait de quoi il parlait, lui, l’homme écartelé. L’homme acculé.

 Dominique Fernandez, dans un beau livre qu’il consacre au cinéaste, cite Chateaubriand :

 « On ne peint bien que son propre cœur, en l’attribuant à un autre ».

Françoise Lods

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