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Les mythes au cinéma : Rois et Reine d’Arnaud Desplechin

Séminaire 2006

Par rapport aux autres films du séminaire (Le Seigneur des anneaux, Matrix, Excalibur, Médée) et à leur façon de parler des mythes, Rois et reine joue un rôle à part.

Et la différence est de taille. Dans le cas des quatre premiers films en effet, l’histoire se déroule à l’intérieur de l’univers mythique évoqué par le réalisateur et y plonge le spectateur. Dans le second cas, celui de Rois et reine, la mythologie grecque intervient comme référence culturelle et citation signifiante à travers des gravures représentant les héros mythiques convoqués, et joue le rôle de révélateur de l’inconscient (cas de Nora) ou de rime héroïque à des événements tragico-burlesques ( cas d’Ismaël). D’entrée Arnaud Desplechin, en commençant son film par une citation, souligne l’importance à donner aux pistes mythologiques qu’il va ouvrir : « Zeus aimait la belle Léda, épouse du mortel Pindare, neuvième roi de Sparte. Il l’aborda sous la forme d’un cygne ». Puis, les petits cailloux des références se succèdent : la gravure de Léda et du cygne offerte par Nora à son père, le tableau d’Hercule et du taureau de Crète dans l’appartement d’Ismaël, le calendrier illustré par un Hercule aux pieds d’Omphale, la tasse décorée d’un Persée tenant la tête de la Gorgone, l’affiche représentant le combat d’Hercule contre l’hydre de Lerne alors qu’Ismaël découvre le comportement diabolique de son collègue, Christian... et j’en oublie !

Correspondances avec les dieux

Le premier effet de cette multiplication des citations est d’ouvrir le film sur l’« autre scène » du mythe, et, par la correspondance qu’elles effectuent entre des héros de la mythologie et des personnages d’aujourd’hui, d’enrichir ces derniers d’un contenu symbolique qui dépasse leur simple histoire. Cette correspondance est plus ou moins affirmée : elle touche à l’identification dans le cas du duo Nora-Léda, j’y reviendrai ; Ismaël, lui, se trouve associé à plusieurs représentations du même demi-dieu, Hercule, soit vainqueur (du taureau crétois, de l’hydre de Lerne), soit dominé (par Omphale), avec pour résultat deux conséquences opposées : un effet comique résultant de la mise en face à face du héros grec et du personnage clownesque d’Ismaël, et un effet épique, les aventures d’Hercule venant lester de leur basse continue et dramatique le côté feu follet du personnage. Ces aventures d’ailleurs ne sont pas choisies n’importe comment : les combats d’Hercule sont en regard avec ceux menés par Ismaël pour faire face à ses difficultés (menace de saisie, internement, licenciement), tandis que l’asservissement à Omphale correspond à l’enfermement dans l’hôpital. Ce parallélisme Hercule-Ismaël se réfléchit aussi dans un autre miroir : si Ismaël , interné sous l’accusation de folie, se voit entouré des représentations des travaux d’Hercule, la mythologie nous apprend que ce même Hercule a été condamné à l’exécution de ces travaux pour avoir tué sa famille sous l’emprise de la folie.

Familles recomposées

Autre fil rouge du film d’Arnaud Desplechin : la réflexion qu’il conduit sur la place de chacun dans l’arbre des générations, sur la filiation et sur la constitution des familles. On dit celles-ci de nos jours souvent « recomposées». Elles le sont particulièrement dans ce film où les liens traditionnels (et biologiques) sont mis à mal, où Elias est le fils d’un homme mort avant sa naissance, a été élevé pendant six ans par Ismaël, puis c’est le père de Nora qui a pris le relai. Quant à la famille d’Ismaël, n’en parlons pas, qui adopte par sympathie un cousin adulte, et qui compare les façons d’avoir un enfant : par accouchement ou par adoption. Et c’est là justement, dans ce chaos du symbolique, que les gravures mythologiques qui se succèdent sont en écho à l’histoire racontée : quoi de plus hors normes que les naissances des dieux et des héros et que la façon dont ils assument leur paternité ? A propos d’Hercule, faut-il rappeler qu’il était le fils de Zeus, celui-ci ayant pris l’apparence d’Amphitryon pour pouvoir tranquillement bénéficier des faveurs d’Alcmène, la femme de celui-ci ? On ne compte plus les stratagèmes de Zeus pour parvenir à ses fins amoureuses. Entre autres, ce déguisement en cygne pour approcher Léda.

Léda et le cygne

Et c’est là où Arnaud Desplechin réalise le glissement le plus subtil entre mythologie et temps présent pour développer un thème (toujours associé à celui de la famille) qui, tabou et faisant partie du refoulé, ne pouvait être évoqué que par l’image ou l’allusion : l’inceste. Suivons la caméra : juste après la phrase inaugurale introduisant Zeus et Léda, elle descend du ciel (de l’Olympe) par un panoramique vertical qui l’amène au niveau du trottoir où elle attend l’arrivée du taxi dont la porte en s’ouvrant lui permet - brièvement sans doute mais, sans l’ombre d’une équivoque - de se glisser dans l’entrebaillement des cuisses de Nora. Et si Nora n’est pas encore Léda à ce moment là pour le spectateur, elle le devient l’instant d’après par le cadeau qu’elle donne à son père : la gravure représentant Léda et le cygne. Pour que nul n’ignore l’identification, « J’ai pensé à toi en la voyant » dit-elle à son père à propos de cette gravure. Et un peu plus tard, allongée sur son lit, pensant visiblement à son père hospitalisé, sa pensée se matérialise par l’ombre chinoise d’une tête et d’un cou de cygne projetée sur le mur par son bras. Le cygne : par sa blancheur il évoque la pureté insoupçonnable, par sa majesté il évoque la royauté du père, par sa biologie il écarte tout soupçon de possibilité d’union physique. Le camouflage est parfait, la relation incestueuse latente peut se développer sans que nul, et même pas les intéressés, soupçonne sa nature. Une étude détaillée du film apporterait les éléments confirmant cette hypothèse, mais cela sortirait du cadre de cette analyse consacrée au seul contenu mythologique.

Jean Lods

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