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Festival de Locarno 2017

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Freiheit de Jan Speckenbach, Allemagne/Slovaquie 2017

avec : Johanna Wokalek, Hans-Jochen Wagner, Inga Birkenfeld, Andrea Szabová, Ondrej Koval

Freiheit

Compétition internationale

Johanna Wokalek © Festival Locarno 2017

Nora a tout ce qu’on peut espérer, un mari, une fille, un fils, une bonne situation comme avocate. Et pourtant elle quitte tout ça aller n’importe où.

Une quête de liberté – mais quelle liberté ? Celle d’un réfugié qui quitte une vie de misère pour chercher une vie possible en Allemagne ? Ou celle d’une bourgeoise apparemment comblée, mais vide ?

Le film met en parallèle l’errance de Nora et la difficulté de Philip, son mari, à faire face, seul désormais, à la vie familiale et professionnelle. La quête de liberté de l’une enchaîne l’autre à son devoir. Mais en faisant face ce dernier gagne en épaisseur, en compréhension ; il se libère progressivement des chaines de ses certitudes routinières et de ses préjugés – alors que sa liberté à elle se révèle pure fuite.

Thèse et antithèse qui se retrouvent dans la synthèse de la troisième partie du film où l’on voit la famille ensemble ? Que nenni. Les deux premières sont les deux faces de la même monnaie, alors que la dernière serait plutôt un genre de « dysthèse » puisqu’elle montre le dysfonctionnement de cette vie, juste avant la rupture, dysfonctionnement presque impalpable mais rendu visible justement par le fait qu’on voit en fin de film cette partie, tournée en premier, quand on sait déjà ce qui va arriver et qu’on est plus sensible à ce subtil désespoir qui traverse la vie de cette famille apparemment sans histoire.

Les images

Première séquence : le fleuve Léthé d’où il faut boire pour renaître.

Deuxième séquence : Nora au musée. Parmi les œuvres représentant des scènes bibliques ou mythologiques, celle de la tour de Babel de Bruegel l’Ancien.

Troisième séquence : Un bus côté gauche de l’image dans lequel se reflète la ville qui, avec l’avancée du bus, défile du côté droit de l’image. Plus qu’un simple reflet vague, c’est une image en parfait miroir, ce qui produit une sensation surprenante, surtout quand un tram, venant de droite passe devant le bus et, entrant en collision avec son image en miroir, les deux sont avalés par le l’axe de symétrie. Comme si le temps, en avançant, avalait le réel en son centre même, constituant la disparition comme point aveugle de l’être-là.

Reflets de réalité

Tous les éléments sont là. La symbolique du reflet, loin de se réduire à un simple effet visuel – d’une grande beauté – traverse tout le film. Le reflet du visage de Nora se superpose à la tête du mannequin dont elle choisira la coiffure ; un feu d’artifice se superpose à son image, puis à celle de son corps nu, son visage se projette en grand sur le mur de la chambre où son mari fait l’amour avec son amie.
Et la dernière image du film nous montre Nora entrant dans un fleuve nocturne dans lequel se reflète un immeuble illuminé qui ressemble fort à la tour de Babel du musée. Nora se fond littéralement dans ce reflet du symbole de la confusion des langues.

Plusieurs fois au cours du film, des personnes s’adressent à elle en slovaque, langue qu’elle ne comprend pas, tandis que son mari applaudit un groupe chinois qu’il ne comprend pas non plus. Mais dans la discussion entre Nora et Philip, le soir avant qu’elle ne disparaisse, on sent bien qu’ils ne se comprennent pas, alors qu’ils parlent la même langue. Et la seule personne à qui son mari parle vraiment sans filtre, c’est l’immigré, victime de brutalités racistes – commises par le jeune homme que Philip doit défendre – et qui reste dans le coma depuis, dans une chambre blanche et sans âme à l’hôpital.
Quand les amis viennent joindre le dîner de Nora et Philip, ils disent vouloir aller au cinéma pour voir Les disparus, non seulement prémonitoire de la disparition de Nora, mais aussi clin d’œil au film précédent du réalisateur qui portait ce titre (2012).

Clins d’œil, renvois et jeux de miroir entre des langues, entre des identités à travers des noms d’emprunt et des récits inventés, entre souvenir et oubli.

Ce sont les souvenirs qui rendent précieux les bijoux que Nora vend, mais elle les vend ! Le refrain du chant qui traverse le film (celui de Dido avant son suicide) dit « remember me », mais Nora fait tout ce qu’elle peut pour se faire oublier.
Ce n’est pas comme chez Platon qui dénonçait la réalité comme simple reflet, ici les différents jeux de miroir font ressentir la réalité comme traversée par de part en part de « reflets », l’identité est constituée de ces reflets et de récits plus ou moins imaginaires, la quête d’identité est autant une fuite – et l’inverse – la communication est traversée de confusion et la liberté est une chaîne qui se noie dans le reflet de cette confusion. Babel, c’était une histoire d’orgueil !
Lors d’un repas en famille avec sa nouvelle amie, le sauvetage d’une araignée rappelle à Nora une scène similaire le soir avant son départ, quand c’était précisément un immigré qui avait sauvé l’araignée que son fils voulait tuer, en la mettant dehors : « comme ça elle a le droit de vivre, mais pas dans notre maison. »

Et si nos libertés n’étaient que celle de l’araignée ?

Waltraud Verlaguet

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