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Festival de Festival chrétien du cinéma de Montpellier 2022

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Génération(s)

Prélude philosophique » du Festival chrétien du cinéma, janvier 2022

Sur quelque objet qu’elle s’interroge, la réflexion philosophique a ceci de caractéristique qu’elle est toujours guidée par une seule et même question, sa question originelle, la question de Socrate : « Qu’est-ce que… ? ». Si nous voulons réfléchir en philosophes sur ce qu’on appelle « génération », il nous faut donc nous demander simplement : « Qu’est-ce qu’une « génération » ? »

La méthode la plus directe pour préciser le contenu de cette notion, c’est de se laisser guider par le mot jusqu’à son sens originel, généralement livré par son étymologie. Le mot français « génération », dans son emploi moderne, a deux sens : il désigne d’une part l’acte d’engendrer, le processus d’engendrement qui aboutit à la naissance d’un nouveau vivant ; et, d’autre part, une certaine classe d’âge, une« tranche d’âge », c’est-à-dire une étape chronologiquement déterminée, et suffisamment isolable, dans la succession historique des filiations ; c’est en ce dernier sens qu’on a pu parler d’une « génération Jean-Paul II », d’une « génération Mitterrand », ou, aujourd’hui, de « la génération du portable ».

Or, ce dernier sens n’est que dérivé. La signification originelle est la première, car le mot français dérive directement du latin « generatio », qui ne désigne pas un groupe d’êtres humains nés dans les mêmes années, mais un processus, celui de l’engendrement (du point de vue du père) ou de l’enfantement (selon le point de vue de la mère).

Le verbe latin « generare » signifie en effet engendrer, ou enfanter, au sens de produire un nouvel être vivant par filiation. Le verbe appartient à une riche famille de mots construits sur la racine indo-européenne gen-*, parfois réduite au radical consonantique -gn-, comme dans le verbe grec γίγνομαι (« gignomaï »), qui signifie « naître » et « devenir ». De la même famille sont les mots grecs γένος (« genos »), γένεσις (« genesis ») – qui a donné le français « genèse » – et leurs parallèles latins « genus », genre (par opposition à l’ « espèce »), ou ingenium (pour désigner le naturel propre d’une personne, ce qui fait sa personnalité première, telle qu’engendrée).

1°/ Le lien entre identité et changement, loi du vivant individuel.

L’idée fondamentale qui fait l’unité de cette famille de mots dès l’Antiquité, c’ est donc celle d’une venue à l’existence d’un être nouveau qui s’opère sous la forme de la naissance. Or, seul peut naître le vivant. L’idée fondamentale portée par le mot « génération » est donc celle d’un processus de venue à l’être comme naissance à la vie.

Une première remarque suggestive est déjà possible : si les Grecs pensaient l’existence de ce vivant comme une « genesis », c’est-à-dire à la fois, d’un seul mot et d’un seul et même concept, comme une naissance et un changement, un devenir, c’est parce que le mot souligne ce paradoxe caractéristique que, pour le vivant, être implique de changer : parce qu’il est « engendré » l’individu vivant est structuré par cette contradiction nécessaire que, pour demeurer celui qu’il est, il doit ne pas cesser de devenir différent : l’identité de son être repose sur une régulière et constante altération, un changement continu. L’engendré n’existe donc, et ne parvient à être lui-même qu’en modifiant continûment son identité, en devenant ce qu’il n’était pas encore.

C’est là le paradoxe fondamental qu’il importe de voir tout d’abord, si l’on veut comprendre la notion de génération : toute genèse est à la fois commencement d’une existence, première installation dans l’être, et changement orienté qui transforme ce donné initial, déjà, en autre chose. La genèse est à la fois commencement et transformation. Aussi tout vivant, dès sa première formation — le nouveau-né, dès sa naissance ; mais déjà aussi le fœtus, avant de naître — est déjà en train de se développer, d’acquérir de nouvelles aptitudes, c’est-à-dire de vieillir. La génération est donc le processus qui installe un individu dans cette condition propre du vivant, qui implique une tension interne permanente entre son individualité, c'est-à-dire une identité, et son auto–altération, son altérité virtuelle, par laquelle cet individu s’affirme et se déploie en préservant cette même identité.

2°/ La dimension collective

Il faut ajouter aussitôt que ce processus ne joue pas seulement au niveau de l’individu : il a une dimension immédiatement collective. Le processus de génération, en effet, est à l’origine de ce que la langue grecque appelait (toujours à partir du même radical gen-*) le « γένος » ( genos ), le clan familial, qui regroupait, au-delà des familles comme groupes des enfants, parents, et grands-parents vivants et contemporains, toutes les familles qui se reconnaissaient un même ancêtre commun. C’est ainsi que le mot « genos » (et le latin genus) en sont venus à désigner un groupe plus large, une collectivité d’individus plus étendue que l’espèce. Au point que ces termes, « genre », « espèce », furent repris dans la classification scientifique des êtres vivants, d’abord par Linné pour la classification botanique, puis au XIXe siècle, en zoologie. C’est alors que l’on glisse du premier au deuxième sens du mot génération : on entend alors par « génération » l’ensemble (numériquement indéterminé) de tout ceux qui sont simultanément issus du processus d’engendrement.

3°/ Engendrement et transmission.

Si l’on pense ensemble, comme deux faces d’une même dynamique, la génération de l’individu et la production d’une même classe d’âge, regroupant tous les individus ainsi contemporains, on aperçoit alors que la generatio, le processus d’engendrement/enfantement des vivants, assure la fonction de reproduction de l’espèce, ou du groupe humain, c’est-à-dire la transmission de certains caractères trans-individuels, qui définissent une identité qui dépasse l’étroitesse des déterminations de l’individu générateur, du couple des géniteurs.

La génération comme engendrement se révèle alors être la préservation, à travers le temps, contre l’usure du vivant, d’une identité collectivement partagée : une certaine réserve de caractères physiques, mais aussi de traits psychologiques, et de caractéristiques morales, et, pour l’être humain, de caractéristiques culturelles : mœurs, habitudes de vie et de pensée, langue, croyances, religion, etc. la dynamique de la génération comporte nécessairement cette tendance à transmettre à la nouvelle vague des individus engendrés un patrimoine — c’est-à-dire proprement ce qui vient des pères — : patrimoine génétique, (si bien nommé), mais aussi patrimoine éthique et culturel.

La fonction de la génération et sa tendance interne consistent donc à susciter, dans l’individu engendré, la réception, l’acceptation et la prolongation, au-delà de la mort des géniteurs, de ce patrimoine hérité. Ainsi, le remplacement de l’individualité singulière des géniteurs par celle des engendrés réalise, au niveau collectif de l’espèce animale ou du genre humain, ce que nous constations déjà pour le vivant individuel : pour demeurer lui-même, pour conserver son identité, le groupe spécifique doit devenir, changer.

4°/ L’engendrement comme auto-négation : l’opposition « des » générations.

Cependant, cette tendance naturelle à la transmission, qui a pour norme interne et pour idéal la préservation à l’identique du patrimoine déjà constitué, est habitée elle aussi par une contradiction : car l’engendrement est l’acte qui donne l’être à un individu autre, individuellement différent et séparé. C’est à une autre individualité, séparée et donc potentiellement indépendante de l’entité génératrice, que l’héritage est confié. Ainsi engendrer, pour l’existant générateur, c’est abolir sa propre souveraineté, anticiper sa propre disparition, en donnant l’existence, la force et le savoir à un autre vivant, ainsi rendu capable de s’opposer à lui, afin même de pouvoir le remplacer. C’est pourquoi la génération est en même temps accomplissement qui prolonge l’existence des géniteurs, et abolition, auto–négation, de plus en plus manifeste, de ces géniteurs.

La conséquence en est la clôture sur lui-même d’un stade déterminé de l’évolution de l’espèce, la délimitation close de « la génération » des parents, par opposition à « la génération » de leurs enfants, qui tout en les prolongeant les effacent. Ainsi s’impose le second sens du mot génération, pour désigner le nouveau stade évolutif de l’espèce ou de l’humanité, incarnée par le groupe des nouveaux engendrés, la « progéniture ».

5°/ Liaison organique entre continuation et rupture.

On peut alors apercevoir le paradoxe qui fait l’essence même de la génération : toute génération, en quelque sens qu’on prenne le mot, est à la fois continuation et rupture : transmission d’une identité, pour assurer une continuité historique (non seulement une continuité vitale et biologique ; mais aussi psychologique, morale, sociale, culturelle, religieuse), et altération de cette identité, par l’introduction d’un point de vue autre, souverain dans son altérité, en raison même de l’autonomie du nouveau vivant, et de sa liberté d’innovation. Cette altération peut aller jusqu’à la remise en question ; mais cette mise en question du contenu du patrimoine transmis est la condition même de sa conservation.

On peut donc conclure que la génération est travaillée par une contradiction interne : elle est à la fois filiation, réception d’un héritage, et conflit, refus de répéter passivement des formes de pensée ou d’action simplement reçues. Cette négation, cette opposition, conditionne alors, pour les individus issus de cet engendrement, la nécessité de réinventer, de recommencer l’invention du rapport au monde, et pour l’homme l’invention de la culture.

6°/ Conclusion : l’inévitable – et salutaire – « conflit des générations »

On peut comprendre ainsi pourquoi, dans ce que l’on appelle à chaque fois la « nouvelle génération », les pères et mères à la fois se reconnaissent et ne se reconnaissent pas. Des similitudes de tendances psychologiques, de goûts, un partage des mêmes codes de signification, convictions ou croyances et habitudes de vie (ne serait-ce que le partage de la langue, et d’un minimum de techniques ou de savoir-faire communs) font que, au sein des familles et des clans, au sein d’une même catégorie sociale, « on se comprend ».

Mais par ailleurs, comme les anciens le disent et le constatent, « les jeunes refusent de nous ressembler » ; les membres de la nouvelle génération marquent leur identité propre en adoptant un style de vie ou de comportement, ou des valeurs, qui leur semblent de mauvais goût (dans le meilleur des cas !), et, à l’extrême, délirants ou « dégénérés ».

Le « conflit des générations » n’est donc pas un malheur contingent, c’est une nécessité naturelle, inscrite dans le paradoxe même de la génération comme reproduction innovante du vivant, qui implique à la fois identité trans-temporelle et opposition.

Au point de vue éthique – qui très souvent intéresse le cinéma – on peut donc affirmer tout à la fois la légitimité de principe de la révolte des fils contre les pères, en vertu de la nécessité vitale de secouer la prégnance étouffante du modèle paternel ou maternel, lorsqu’il prétend s’imposer sans réserve. Mais inversement, il faut également reconnaître la légitimité de principe de la volonté parentale de transmission à l’identique, et de « respect des anciens ». Car éduquer, c’est toujours donner forme, une forme déterminée, à l’humain naturel, en lui-même informe.

7°/ Dépasser le conflit ?

On se demande alors : quelle solution y a-t-il à ce conflit des légitimités ? Qui a raison ? Le père et la mère qui dictent leur modèle de vie et de pensée ? ou les fils et filles, dans leur sentiment fort d’être appelés par la vie à affirmer une personnalité différente ?

Cette solution n’existe pas.

Peut-être faut-il risquer l’idée qu’il n’y a pas à chercher ici une « solution », car l’harmonisation des générations n’est pas un problème technique dont il faudrait chercher la formule. C’est la rencontre de deux libertés, qui sont à la fois, génétiquement, interdépendantes, et, moralement, également souveraines.

La seule réponse à cette situation ne serait-elle pas à chercher du côté du cœur ?

Dans le respect de la différence des personnes ; dans la reconnaissance du don que fait de soi celui ou celle qui transmet sa vie ; et dans la tendresse, qui protège la merveilleuse créativité nouvelle que recèle en elle-même toute jeunesse ?

Jean-François Lavigne

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