PROtestants et FILmophilesFestival de Cannes |
PROmouvoir les FILms dont la qualité artistique et humaine aide à la connaissance du monde contemporain
ACCUEIL - QUI SOMMES-NOUS ? - ACTIVITES - PUBLICATIONS - GROUPES - CRITIQUES DE FILMS - RADIO - FESTIVALS
Ce qui suit est un condensé de plusieurs cours donnés à la Faculté de Théologie protestante de Montpellier durant l’année 2014-2015, et notamment
Ces cours sont en ligne sur le site de Pro-Fil, page « cours ».
Luther soulignait l’importance de l’éducation. Il disait qu’il était plus grave de négliger l’éducation des jeunes que de violer une vierge, car un viol n’affecte que le corps, alors qu’un manque d’éducation affecte l’esprit et l’âme. Il insistait pour créer des écoles pour que chacun puisse lire et s’instruire par lui-même.
A l’époque, l’imprimerie venait juste d’être inventée et la vulgarisation de la lecture aidait l’émancipation des gens du peuple. Aujourd'hui, la culture est largement déterminée par l'image, beaucoup plus que par les textes. L'école continue à former les jeunes à la lecture des textes – c'est nécessaire, évidemment. Mais qui leur apprend à lire des images ? On me répond régulièrement que l'analyse d'image est dans les programmes scolaires, mais soyons honnêtes : si peu !
Du coup, les jeunes – et les moins jeunes – sont éminemment manipulables et je pense qu'on ne mesure pas encore l'étendue de cette manipulation.
Comme les Réformateurs apprenaient à leurs ouailles à lire et à écrire, il est donc notre devoir d'enseigner aux jeunes – et aux moins jeunes – la bonne pratique de l'image. Pour paraphraser Luther, négliger l'enseignement de l'image est aussi criminel qu'un viol, car cette négligence permet à d'autres de violer les consciences.
Faire réfléchir sur un thème donné à partir d'un film est infiniment plus stimulant, notamment pour des jeunes, mais pas seulement, que de partir de textes ou de définitions abstraites. Et plus simple. Quand on discute sur un thème, ça part souvent dans tous les sens.
Revenir sans cesse à la trame d'un film donné permet de recentrer le débat sans se laisser déborder.
S'en tenir à la vision qu'offre le réalisateur du thème en question permet d'obliger à une certaine distanciation par rapport au thème : on ne s'interroge pas à priori sur la position des participants par rapport au thème choisi, mais on leur demande de questionner le film, et derrière le film l'intention du réalisateur. Cela oblige à une certaine objectivation du problème tout en évitant une implication affective trop forte, et permet d'interpeler sans forcer les apriori existentiels des uns et des autres.
Nous croyons en un Dieu incarné. Cela implique des responsabilités. Notre société est largement sécularisée. Les références religieuses ont perdu leur évidence – ou sont malmenées en tant que marqueurs identitaires. Du coup, nous devons
Dans les deux cas, le cinéma est un outil précieux comme miroir qui renvoie, mieux que tout autre art, l'image complexe de l'univers dans lequel nous vivons.
Commençons par le deuxième point, rendre compte des traces laissées par la religion dans la culture de nos contemporains.
1. éléments religieux dans les films
Dans les films, la religion peut être présente de plusieurs manières.
Quand la religion devient explicitement le thème d'un film, il faut souvent craindre le pire. Pensons à La passion du Christ de Mel Gibson qui, sous prétexte de restituer fidèlement les événements, nous livre SON interprétation personnelle, sacrificielle, en phase avec le goût du public pour le gore sado-maso. Mais il y a des bonnes surprises, comme Noé de Darren Aronofsky qui, sous des allures de peplum parfois mal dégrossi, pose des questions théologiques intéressantes.
Les films traitant de l'Histoire de l'Eglise permettent de mesurer à quel point l'Histoire se lit toujours à partir des préoccupations du présent.
Une catégorie particulière de films cherche à mesurer l'écart entre les institutions et les valeurs que celles-ci proclament. Citons Les Magdalena Sisters de Peter Mullan, La mauvaise éducation de Pedro Almodovar, ou, côté protestant Breaking the waves de Lars von Trier ; ou encore, sur un registre plus léger, Mariages de Valérie Guignabodet ou Pièce montée de Denys Granier-Deferre. Je recommande tout particulièrement ce type de film à votre analyse tant il est stimulant d'interroger les conceptions de nos contemporains concernant nos pratiques et les valeurs auxquelles nous croyons.
L'image des religions, pas seulement de la nôtre, oscille entre fascination et repoussoir, et une étude systématique des conceptions des réalisateurs concernant la religion, serait très intéressante.
Voilà pour l'analyse des phénomènes religieux dans les films. Mais ce qui me semble autrement plus intéressant, c'est tout le reste.
C'est dans ce qu'il y a de plus profane qu'il convient de chercher les ressorts des enjeux spirituels.
Recyclant les mythes de l'humanité au profit d'une vision historique du monde, le christianisme a marqué l'Occident du sceau d'une relation particulière à la réalité, la prenant au sérieux tout en la subvertissant. Pour cette raison, il a peut-être aussi une responsabilité particulière dans l'interprétation de cette réalité. La foi ne se joue pas dans un arrière-monde, mais demande toujours à nouveau à être « contextualisée ».
Le cinéma joue le rôle d'un formidable miroir grossissant du monde. Le cinéaste met en scène une histoire singulière dans un contexte donné, et le lien entre l'un et l'autre permet de saisir la vision du monde de l'auteur. La vérité du cinéma ne réside pas dans la reproduction plus ou moins fidèle d'une réalité objective, mais dans ce qu'il révèle de cette vision subjective. Qu'il montre des histoires de l'actualité, une reconstitution historique ou encore une fiction projetée dans le futur, il ne s'agit jamais de faits bruts, mais toujours d'un regard particulier sur la réalité, sur l'histoire ou sur les rêves des humains, regard marqué par une métaphysique, religieuse ou non, et qui témoigne d'une époque, la nôtre. Découvrant les craintes et les espoirs du moment, le cinéma, en phase avec la modernité donnant la priorité au visuel sur les autres sens, prend sous sa loupe les nœuds de la réalité, entrelacs complexes entre faits et imaginaire, concepts et symboles, dont la description purement factuelle ne saurait rendre compte. Mieux encore que le documentaire, la fiction, en tant que construction analysable, permet alors de saisir comment fonctionne notre vision du monde et de démythiser les dogmes implicites de notre temps.
La première démarche est donc diagnostique. La seconde relève de l'éthique. Quelles « valeurs » sont mises en scène par les cinéastes et comment ? Comment entrent-elles en résonance avec les « valeurs chrétiennes » ?
Cette interrogation révèle aussitôt l'ambiguïté de cette dernière définition. Amour et haine, souffrance et mort, ambition et quête de sens, sont médités et mis en récit à travers le monde selon des modalités si diverses et pourtant si semblables.
Jésus a sans cesse utilisé des récits de son environnement pour dire la Bonne Nouvelle et la rendre perceptible à ses auditeurs. La discussion des thématiques actuelles telles qu'elles nous sont visibles dans le cinéma permet au chrétien d'aujourd'hui de rendre compte de sa foi dans le monde dans lequel il vit. Le film comme événement d'une double projection, celle de la vision du réalisateur sur l'écran et celle du spectateur qui le reçoit, s'inscrit dans un tissage intersubjectif qui mérite l'intérêt tout particulier du questionnement spirituel et théologique.
Quelle fonction le cinéma remplit-il auprès du public ? On peut lui attribuer une fonction haute et une autre plus triviale.
Commençons par la dernière. Le cinéma divertit. C'est ce rôle qu'il joue pour distraire qui est à la base du discrédit que certains voudraient jeter sur le 7e art. Panem et circenses, disaient les Romains et de nombreux courant rigoristes, pas seulement religieux, ont condamné le cinéma. Georges Duhamel (1884-1966) écrit dans Scènes de la vie future en 1930 :
« C'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuries par leur besogne et leurs soucis. C'est, savamment empoisonnée, la nourriture d'une multitude que les Puissances de Moloch ont jugée, condamnée et qu'elles achèvent d'avilir.
Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n'allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'être un jour « star » à Los Angeles. »
Le dynamisme même du cinéma nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait s'arrêter. Les plaisirs sont offerts au public sans qu'il ait besoin d'y participer autrement que par une molle et vague adhésion. Ces plaisirs se succèdent avec une rapidité fébrile, si fébrile même que le public n'a presque jamais le temps de comprendre ce qu'on lui glisse sous le nez. Tout est disposé pour que l'homme n'ait pas lieu de s'ennuyer, surtout ! Pas lieu de faire acte d'intelligence, pas lieu de discuter, de réagir, de participer d'une manière quelconque. Et cette machine terrible, compliquée d'éblouissements, de luxe, de musique, de voix humaines, cette machine d'abêtissement et de dissolution compte aujourd'hui parmi les plus étonnantes forces du monde. J'affirme qu'un peuple soumis pendant un demi-siècle au régime actuel des cinémas américains s'achemine vers la pire décadence. »
Remarquons que Duhamel parle essentiellement du cinéma américain.
Côté haut, comme tous les biens culturels, le cinéma participe de la formation intellectuelle et psychologique du spectateur. Pour Paul Ricoeur, la fiction a une fonction heuristique. Il est vrai qu’il parle surtout de littérature. Mais on peut aisément étendre au cinéma ce propos.
Il explique que la mise en intrigue joue un rôle médiateur entre l'expérience pratique qui la précède et celle qui lui succède. Ainsi s’élabore un réseau conceptuel donnant sens à l'action, ce réseau étant formé par l’ensemble des récits antérieurs qui sont d’ailleurs toujours marqué éthiquement et culturellement.
Dans cette logique, les fictions augmentent notre compétence narrative, l’instrument par excellence de l’humain pour se retrouver dans les aléas de son histoire et d’y inscrire des actions qui font sens.
C’est pour toutes ces raisons qu’il faut aller au cinéma...
Waltraud Verlaguet
Siège social, 40 rue de Las Sorbes, 34070 Montpellier Secrétariat national, 25 avenue de Lodève, 34070 Montpellier |