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Le protestantisme au cinéma

Des goûts et des couleurs

Disons d’emblée que le protestantisme n’est pas très visible au cinéma. Peu de films en parlent de façon explicite. Les films anciens des pays nordiques, où le luthéranisme est majoritaire, en envoient une image austère, surtout ceux d’Ingmar Bergman (1918-2007) en Suède et de Carl Théodor Dreyer (1889-1968) au Danemark, mais aussi Le ruban blanc de Michael Haneke (2009) qui situe son récit au début du XXe siècle et imite la texture en noir et blanc des précédents. Bergman était fils de pasteur et a souffert de l’emprise de son père. Dreyer était protestant, il a grandi dans une famille adoptive sans amour et était obsédé toute sa vie par des questions d’amour et de vérité. Haneke est fils d’une mère catholique et d’un père protestant. Il faut ajouter à ce tableau Lars von Trier, protestant converti au catholicisme, qui n’hésite pas à peindre dans Beaking the waves en 1996 un milieu luthérien austère traversé d’une logique sacrificielle peu protestante.

Un film français qui montre le côté austère du protestantisme est L’amour à mort d’Alain Resnais (1984). Nous y reviendrons.

Très différents sont les films américains qui montrent plutôt des protestants de la mouvance évangélique souvent haut en couleur. Ne citons ici que la série Greenleaf (de Clement Virgo, Allan Kroeker, Charles Randolph-Wright, Geary McLeo, Janice Cooke-Leonard, Tanya Hamilton, 2016). Mais aussi un film allemand, Aux mains des hommes de Katrin Gebbe (2013) qui dénonce les dérives auxquelles peut conduire une foi vécue sans médiation.

Entre ces deux extrêmes nous avons des films montrant un protestantisme à visage humain, chaleureux, comme La colline aux mille enfants de Jean-Louis Lorenzi (1994), ou encore Luther d’Eric Till (2003), film historique qui, grâce à des acteurs connus, rend accessible le réformateur à un public peu versé en histoire des religions.

 

Mais je voudrais ici essentiellement faire appel à deux films, Le festin de Babette de Gabriel Axel (Danemark 1987) et Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières (France 2013), pour interroger leurs codes esthétiques quant à leur pertinence théologique.

Le festin de la grâce

Le premier film est tiré de la nouvelle éponyme de Karen Blixen, romancière danoise. Gabriel Axel est danois, on peut supposer qu’il est protestant ou que, du moins, il connaît le milieu protestant. Il a grandi à Paris, dans un contexte culturellement catholique.

Le récit commence au milieu du XIXe siècle dans une région isolée du Jutland où la vie est rude. Un pasteur y mène fermement son petit monde, aidé de ses filles, Martine et Filippa. Apparaît alors Lorenz Lövenheim, jeune officier suédois, qui tombe éperdument amoureux de Martine, tandis qu’Achille Papin, chanteur d’opéra français, s’éprend de Filippa. Mais le pasteur sait persuader ses filles qu’il a besoin d’elles, et c’est par attachement à lui qu’elles sacrifieront leur amour.

En 1871, après de l'écrasement de la Commune de Paris, Babette Hersant, chef de cuisine au Café Anglais à Paris, qui a perdu tous les siens dans les émeutes et craint pour sa vie, arrive au village avec une lettre de recommandation d’Achille Papin. Le pasteur est mort et les deux sœurs essaient tant bien que mal de poursuivre son œuvre. Babette se propose comme servante sans demander de gages et les deux sœurs finissent par accepter par charité.

Babette, avec ses talents de cuisinière, améliore petit à petit la maigre pitance de tout le monde, malgré les moyens très limités. Après de nombreuses années, elle gagne une forte somme au loto. Elle demande aux sœurs de pouvoir organiser un repas français pour tous les habitants du village en l’honneur du pasteur décédé.

Même un regard très superficiel sur la structure du film permet de repérer ses codes esthétiques. Une bonne première moitié du film raconte la vie du village en plans plutôt moyens ou larges et dans des tons gris-beiges, tirant souvent vers le bleu. Aucun élément rouge n’y fait irruption, sauf quand il vient de l’extérieur justement : le milieu de l’opéra d’Achille Papin, ou celui de l’officier, l’écharpe du facteur qui apporte la nouvelle du gain à la loterie - et les flammes de l’enfer dont sort Babette dans le rêve de Philippa. .Une esthétique similaire était déjà un des principes structurant de L’Amour à mort, film peut-être moins spirituel et plus théologique, qui réserve le rouge au seul couple formé par Elisabeth et Simon, tous deux en chemin vers la mort. (Cf. Waltraud Verlaguet, « A propos de L'Amour à mort d'Alain Resnais (1984) » in Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, n° 154/2).

Par contre, avec la préparation du repas et le déroulement de ce dernier, les couleurs se font plus chaudes, orange, et le cadrage privilégie les plans rapprochés, signes d’intimité chaleureuse en accord avec le sentiment de bonheur qui éclot dans la petite communauté.

Quelle image le réalisateur veut-il donner du protestantisme ?

L’austérité qu’il dépeint constitue une attaque en règle du milieu piétiste protestant et des hypocrisies et mesquineries qu’il engendre, dans le droit fil des films de Bergman et de Dreyer.

Tous dénoncent l’hypocrisie et la perversion d’une emprise sous couvert d’autorité religieuse, mais celle-ci pourrait tout aussi bien se situer en milieu catholique – et des réalisateurs catholiques ne se sont pas privés pour dépeindre des situations similaires, ne citons que Pedro Almodovar. Ce qui change n’est pas l’objet de leur critique mais le contexte dans lequel ils inscrivent leurs récits. Chez les auteurs nordiques c’est celui d’une culture protestante rigide et austère.

Mais cette rigidité, cette austérité, sont-elles les marques du protestantisme ? La communauté de Greenleaf, mais aussi La colline aux mille enfants montrent le contraire. Il s’agit plutôt de la conjonction d’une culture qui s’est développée dans des pays froids, rudes, et d’une époque encore engoncée dans des normes qui nous semblent dépassées aujourd’hui. Toute forme de religiosité est située historiquement et ne découle pas simplement des principes fondateurs de la foi qui l’anime.

Ce qui est remarquable, c’est que Le festin de Babette soit devenu un film culte en milieu protestant. Pourquoi ? Parce qu’il met en scène un don généreux à l’image de la grâce divine, sans compter, sans questionner le mérite du destinataire, et que le bonheur des villageois à la fin du film prend figure de salut. Sola gratia, seule la grâce sauve, c’est un des piliers de la confession de foi de la Réforme. Les protestants qui célèbrent ce film y reconnaissent l’image de cette grâce, alors même qu’elle va de pair avec une critique féroce du milieu religieux qui est censé la célébrer.

Et si cette contradiction apparente n’en était pas une ?

Car, avec la primauté de la grâce, ne voir dans l’Eglise qu’une réalité avant-dernière qu’il convient de remettre en question et de réformer sans cesse, cela fait partie des principes mêmes du protestantisme, tant luthérien que réformé. En cela on peut bien dire que Le festin de Babette est un film protestant.

Epris de justice

Michael Kohlhaas est un marchand de chevaux heureux. Ses bêtes sont magnifiques, il est respecté, il a une belle femme, Judith, et une fille, Lisbeth, qu’il adore. Protestant durant la première moitié du XVIe s., il lit sa Bible à la lueur du feu. Mais voilà qu’il devient la victime d’une injustice : un seigneur local voulant lui extorquer un droit de passage prend deux de ses meilleurs chevaux en otage et, avant le retour de Kohlhaas, les maltraite tandis qu’il lance ses chiens sur le serviteur chargé par ce dernier de veiller sur eux.

Kohlhaas tente une action en justice, mais le seigneur fait jouer ses relations. Judith veut alors apporter la plainte directement à Marguerite de Navarre, mais elle est tuée avant de parvenir à la reine.

Kohlhaas, anéanti par ce deuil, lève alors une véritable armée pour se venger.

Le réalisateur transpose en terre cévenole le roman éponyme de Heinrich von Kleist, écrivain allemand. Il remplace le Prince électeur par Marguerite de Navarre et Luther par un pasteur anonyme. Kohlhaas, homme intègre épris de justice, finit par obtenir raison devant les hommes, au prix de sa vie. Malgré sa fin tragique, c’est la victoire de la liberté humaine face à l’injustice et au pouvoir arbitraire.

Voyons si nous retrouvons les codes du festin de Babette dans ce film.

Il y a peu de rouge : l’habit du prélat, ainsi que la nappe et les rideaux de sa demeure ; un habit dans le château ; puis le sang rouge vif, un peu sur les chevaux malmenés, beaucoup sur celui de l’épouse mourante ; mais aussi une couverture sur la selle de Judith et qui recouvre père et fille la nuit avant que Michael ne soit pris, et une face des pommes qu’on lui apporte en prison.

Sinon, c’est le gris bleu vert qui domine, surtout pour les paysages battus par le vent, tandis que les scènes personnelles sont baignées par une lumière orange qui se reflète sur les murs de pierre et illumine les visages. Souvent cette lumière orange se glisse également dans des scènes de combat, par exemple quand les révoltés traversent une forêt et que le soleil filtre à travers les arbres et touche ici l’oreille d’un cheval, là les feuilles d’un arbre.

Le code couleur n’est donc pas aussi strict que dans le film danois, à moins que, justement, il nous fasse entendre que ce combat fait partie de ce qui relie les hommes entre eux. En tout cas, un paysage du Sud de la France peut aussi être lumineux. Ne le montrer que dans des tons gris bleuté procède d’une volonté, celle de refléter l’âpreté et la rudesse tant du contexte que du caractère du héros dont le visage semble taillé dans la pierre avec ses angulations accentuées par le jeu des lumières. Cadrages et couleurs se conjuguent ici pour donner une impression de distance, celle que l’homme debout dresse entre lui et le pouvoir. Une seule fois il se met à genou, pour implorer la bénédiction divine. Soli deo gloria, à Dieu seul la gloire. Aucune autorité humaine ne mérite révérence au-delà du respect qui lui est dû dans le cadre de ses fonctions.

Le rouge se retrouve essentiellement du côté d’un pouvoir qui se nourrit du sang de ses sujets, mais que faire de la couverture rouge de Lisbeth et des pommes ? J’ai peur de sur-interpréter en disant que la couverture recouvre Michael et Lisbeth juste avant l’arrestation du premier et que les pommes lui sont apportées en prison, deux étapes donc menant à sa mise à mort. En tout cas le rouge n’est pas de bonne augure pour les gens du peuple.

Quant à Marguerite de Navarre, reine pieuse, acquise aux idées de la Réforme, philosophe et diplomate, elle est habillée en noir, comme le pasteur, mais son visage doux et ses cheveux blonds atténuent son austérité : elle donnera raison à Kohlhaas pour sa quête de justice, mais le condamnera pour sa révolte, telle Luther face au soulèvement des paysans ; tandis que Judith, sur son lit de mort, tout de blanc vêtue dans la belle robe que son mari venait de lui offrir, est l’image même de l’innocence.

Conclusion

Plutôt que de rechercher des idées, j’ai préféré questionner l’esthétique pour voir comment celle-ci exprime celles-là. On ne peut évidemment pas juger l’ensemble des films traitant du protestantisme à travers un seul prisme, mais ces deux en tout cas sont remarquables par leur cohérence entre fond et forme.

Couleurs et cadrages font partie des éléments fondamentaux du langage filmique. Ceux de ce petit échantillon disent le protestantisme en bleu gris et plans moyens ou larges pour austérité et distance affective, en lumière orange et gros plans pour intimité des relations humaines, en rouge pour menace. Dans ce sens on peut dire que le Sola gratia est orange, alors que le Soli deo gloria est bleu.

Waltraud Verlaguet

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