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Aux Grandes espérances de Dickens s'opposent ces Illusions perdues de Balzac et c'est toute la force de Xavier Gianolli de nous montrer à quel point toute idée de bonté et de confiance peut sombrer sur l'autel d'une gloire aussi factice que futile et éphémère.
Car précisément là où Dickens, à travers son héros Pip, nous montre qu'à force de bonté il est possible de vaincre le mal tel qu'il se manifeste dans les chausses-trappes de la société, celui de Balzac, Lucien Chardon, dit de Rubempré, est le miroir d'une forme de permanence de la corruption à tel point qu'on en vient à douter de la bonté de ses intentions comme de celles de tous les protagonistes.
Seule Coralie, l'actrice de boulevard, semble sincère dans son amour pour son beau Lucien mais qu'en est-il de l'aristocrate Louise ? Quant à Lousteau, journaliste pourri jusqu'à la moelle, au moins autant que son patron Finot, il a au moins le mérite de la lucidité en ce qui le concerne et celui de la constance dans la perversion. Pourtant, il aurait pu en aller autrement, si seulement Lucien avait suivi son premier penchant, celui de son admiration pour le poète adverse, Nathan, lequel lui aussi en vient à avoir une amitié sincère pour ce jeune natif d’Angoulême qui voudrait tant réussir à Paris et devenir riche et célèbre. Mais à quel prix ?
Car il va tout perdre ! À force d'avoir voulu jouer sur tous les tableaux, d'être à la fois Libéral et Monarchiste, populaire et élitiste, amoureux et indifférent, d'avoir crû que puisqu'il était à lui-même à vendre tout le monde devait aussi l'être. Et c'est à l'ascension puis à la déchéance d'un "Grand homme à Paris" (titre original de l'ouvrage qui compose le second volume de la trilogie réunie sous le titre de "Illusions perdues") que Giannoli nous fait assister. D'une caméra sèche et pourtant sensuelle, il décortique pour nous les faux semblants qui font le quotidien de ces avides de célébrité, de pouvoir et de succès. De ce temps là comme du nôtre.
Et nous voyons Lucien perdre son âme en vendant sa plume et avec elle ses idées, son art et son amour pour Louise et Coralie, car il n'aime en réalité que l'image qu'il a d'elles et ce qu'elles pourraient lui apporter de gloire supplémentaire. À ce jeu, le monde est toujours plus fort et il ne sert décidément à rien de vouloir le gagner si on perd ce qui fait son originalité, si on trahit ce que l'on est au plus profond de soi et si on travestit ses sentiments pour plaire à ces ombres folles.
Illusions perdues est ainsi une leçon de vie pour jeunes poètes, jeunes artistes ou tout simplement pour tous ceux qui croient avoir quelque chose à dire et à apporter au monde qui les entoure, à savoir qu'il faut cultiver ce qui nous rend unique au prix de la renommée s'il le faut plutôt que l'inverse.
Roland Kauffmann
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